Culture de soja

Faut-il avoir peur des plantes génétiquement modifiées ?

2 avril 2021
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
«Des plantes OGM qui vous veulent du bien!», par Marc Boutry. Editions de l’Académie royale de Belgique. VP 18 euros, VN 3,99 euros

La première plante transgénique, aussi appelée organisme génétiquement modifié (OGM), est décrite en 1983. Quelque 36 ans plus tard, 12% des surfaces cultivées mondiales sont attribuées à des plantes résultats de l’introduction d’un gène d’une espèce dans une autre. Le bio-ingénieur Marc Boutry invite à dépasser les préjugés, les dogmatismes et les critiques inconciliables avec les données scientifiques dans «Des plantes OGM qui vous veulent du bien!» . Publié par l’Académie royale de Belgique.

Domestiquer les plantes

Des millénaires de sélections humaines ont modifié la plupart des plantes cultivées. Le chou est exemplaire. «L’espèce de chou sauvage Brassica oleracea se trouve encore dans la nature en Europe, mais est peu propice à la consommation», explique le docteur en sciences naturelles appliquées. «Cependant, elle a conduit à la sélection d’un nombre impressionnant de variétés comestibles dont les plus connues sont les choux pommés, le chou-fleur, le brocoli, le chou-rave, le chou kale ou encore le chou de Bruxelles.»

Le processus peut être naturel. «Le chou-fleur orange se caractérise par une accumulation de bêta-carotène, ou provitamine A, le pigment typique de la carotte, résultant de l’insertion naturelle d’un transposon dans un gène de régulation. Les transposons sont des fragments d’ADN mobiles qui peuvent se déplacer au sein du génome (ensemble des gènes). Lorsqu’ils s’insèrent dans un gène, les transposons interrompent son fonctionnement normal.»

Domestiquer des plantes ne se limite pas à améliorer leur morphologie, leurs parties comestibles. Des propriétés sont recherchées. Pour les adapter au sol et au climat. Résister aux insectes, bactéries, virus.

Le génie génétique apparaît

Le génie génétique regroupe des méthodes qui permettent de transférer directement un ou plusieurs gènes dans le génome de l’espèce receveuse. Cette transformation génétique, ou transgenèse, bénéficie de 3 avancées scientifiques des années 1970. La découverte chez des bactéries de plasmides, des molécules d’ADN autonomes et de taille réduite pouvant intégrer des gènes et les transporter dans l’espèce receveuse. D’enzymes capables de couper ou de ligaturer des fragments d’ADN. Et des méthodes pour introduire de l’ADN dans des cellules sans les détruire.

«L’essor du génie génétique a été essentiel aux progrès réalisés en recherche fondamentale dans les sciences du vivant», souligne le membre de la Classe des sciences de l’Académie royale de Belgique. «Par exemple, la consultation du contenu de tomes récents de la revue Plant Physiology, fondée en 1926 et très cotée parmi les chercheurs, révèle que plus de 80% des articles de recherche firent appel à des expériences de génie génétique.»

Traverser la barrière des espèces

En Europe, traverser la barrière des espèces inquiète toujours. «Toutes les techniques d’amélioration modifient le génome», admet le chercheur. «Et, intrinsèquement, elles ne sont ni bonnes ni mauvaises. Ce sont les applications dont il faut évaluer les risques.»

Le nombre d’essais en champ diminue. Environ une dizaine par an. «Dans la pratique, il faut distinguer les demandes d’autorisation de culture de plantes transgéniques sur le sol européen et celles qui visent à autoriser l’importation en Europe de produits issus de plantes transgéniques cultivées sur d’autres continents. Environ 70 variétés transgéniques ont été autorisées à l’importation.»

«Le soja provient notamment du Brésil où il est cultivé en partie sur des territoires grappillés sur la forêt», poursuit le bio-ingénieur. «Pourtant l’Europe dispose de plantes protéagineuses intéressantes comme le pois, le lupin ou la féverole. Seulement, ces espèces offrent des rendements faibles et peu stables. Elles souffrent d’un déficit d’investissement dans l’amélioration génétique en vue de les rendre davantage résistantes aux conditions climatiques, aux maladies et aux insectes.»

Les chercheurs devraient intervenir

Les produits qui apparaissent dans l’alimentation humaine doivent être étiquetés comme issus de plantes transgéniques, sauf si la teneur est inférieure à 0,9%. L’European Food Safety Agency (EFSA) les évalue. Financée par l’Union européenne, l’agence fonctionne indépendamment des institutions européennes et des États membres.

Pour que les plantes transgéniques nous veuillent du bien, «il faudra remettre en question les réglementations lourdes et onéreuses qui empêchent, en Europe, les instituts de recherche et les petites sociétés semencières de participer à l’essor des plantes transgéniques», conclut Marc Boutry. «Souvent financés par les pouvoirs publics, les chercheurs devraient avoir à cœur d’intervenir dans les débats de société.»

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