Acidité des pluies : le rôle de l’acide formique réévalué

26 mai 2021
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Avec un pH variant de 5,5 à 5,7, l’eau de pluie est légèrement acide. Cette acidité est due au CO2, mais aussi aux acides organiques contenus dans l’atmosphère, tels que l’acide formique. Celui-ci facilite la nucléation des gouttelettes au niveau des nuages (c’est-à-dire leur formation suite à un dépôt de vapeur d’eau contenue dans l’air sur une particule hygroscopique, un noyau de condensation), tout en acidifiant ces nuages ainsi que leurs eaux de pluie. Dans les précédents modèles décrivant la formation des acides atmosphériques, le rôle de l’acide formique était nettement sous-estimé. Et ce, en raison d’un manque de connaissances autour des principaux processus liés à ses sources et à ses puits. Une étude internationale remet l’acide formique à sa juste place. Elle est le fruit d’une collaboration entre chercheurs de l’Université libre de Bruxelles (ULB), de l’Institut royal d’Aéronomie Spatiale de Belgique (IASB) et du Centre de recherche allemand Jülich.

Une confirmation satellitaire

Après avoir testé leur théorie innovante sur un modèle global de chimie atmosphérique, ils ont comparé les résultats obtenus avec les quantités d’acide formique réellement présentes dans l’atmosphère. Et ce, grâce aux mesures de l’instrument IASI (pour Interféromètre Atmosphérique de Sondage dans l’Infrarouge) embarqué à bord des satellites européens Metop-A, -B et –C.

« Ces mesures satellites sont très importantes, car elles permettent, comme pour d’autres constituants de l’atmosphère, d’évaluer l’exactitude des modèles. Et pour la première fois, modèles et mesures réelles coïncident », explique Dr Bruno Franco, chercheur au sein du Service Spectroscopy, Quantum Chemistry and Atmospheric Remote Sensing (SQUARES) de l’ULB.

Des expériences ultérieures dans la chambre de simulation atmosphérique SAPHIR de Jülich ont confirmé ces résultats.

Schéma de formation de l’acide formique : en noir, selon les modèles de chimie atmosphérique globale; en rouge, selon la théorie innovante exposée dans la publication © Franco et al. – Cliquez pour agrandir

Au départ, du formaldéhyde gazeux

Jusqu’à cette étude, le processus chimique qui mène à la production de la majeure partie de l’acide formique présent dans l’atmosphère demeurait donc très parcellaire.

Pour aider à la compréhension de ce qui suit, regardons le schéma, publié dans l’étude, relatant la production d’acide formique (HCOOH). En noir, est représentée l’hypothèse utilisée couramment dans les modèles de chimie atmosphérique globale. En rouge, la nouvelle voie comportant des équilibres entre phase aqueuse et phase gazeuse du méthanediol (CH2(OH)2), proposée par l’équipe de chercheurs.

A noter que toutes deux partent du même point de départ : le formaldéhyde (HCHO), l’aldéhyde le plus abondant dans l’atmosphère. Celui-ci se forme par photo-oxydation au départ de composés organiques volatils émis par les activités humaines (moins de 15 % du total des émissions), notamment les industries, mais surtout par les végétaux vivants. Sa durée de vie moyenne dans l’atmosphère est de 2 à 4 jours, mais augmente à environ 25 jours dans des conditions troposphériques sans nuages.

Plus complexe qu’il n’y parait

Les modèles de chimie atmosphérique globale négligent le méthanediol en phase aqueuse (HOCH2OH) (en noir sur le schéma). En effet, pour eux, l’acide formique en phase aqueuse (HCOOH) est supposé se former directement à partir du formaldéhyde (HCHO) lors de la réaction avec les radicaux OH.

Le processus est, en réalité, bien plus complexe et consiste en une succession d’étapes régies par des équilibres chimiques (en rouge sur le schéma). Tout d’abord, le formaldéhyde (HCHO) réagit au sein des gouttelettes de nuages avec des molécules d’eau pour former du méthanediol (CH2(OH)2).
Une petite quantité de ce méthanediol se déshydrate ensuite lentement en phase aqueuse pour former de l’acide formique, lequel est répandu par la pluie. Mais la majeure partie de cette substance est dégazée rapidement à partir des gouttelettes nuageuses. Le méthanediol (CH2(OH)2) réagit (oxydation) alors avec les radicaux OH dans un processus photochimique pour former de l’acide formique gazeux.

« D’après nos calculs, l’oxydation du méthanediol en phase gazeuse produit jusqu’à quatre fois plus d’acide formique que ce qui est produit par les autres processus chimiques connus dans l’atmosphère. Cette quantité réduit de 0,3 le pH des nuages et de l’eau de pluie  », expliquent les chercheurs. Voilà qui met clairement en évidence la contribution du carbone organique à l’acidité naturelle de l’atmosphère.

Des recherches futures analyseront si le mécanisme mis en évidence pour l’acide formique pourrait s’appliquer à d’autres acides organiques. De quoi conduire à une meilleure compréhension de la croissance des particules d’aérosols et du développement des nuages.

 

 

 

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