Transformer une Belgique unitaire en un État fédéral impacte la recherche. Le chercheur Nathan Charlier explore ce qui se joue en Wallonie et en Flandre dans «Gouverner la recherche». Aux Presses universitaires de Liège. Dans la collection Sciences et technologie en société.
Le livre découle d’une recherche doctorale. Financée par le Fonds de la recherche fondamentale collective d’initiative des chercheurs qui est associé au Fonds de la recherche scientifique FRS-FNRS. Il s’inscrit dans la littérature «science and technology policy studies». Dans ces études de politique scientifique et technologique, les auteurs témoignent d’évolutions majeures dans la manière de gouverner la recherche. De concevoir son rôle et ses interactions.
Une science stratégique
Les institutions scientifiques et du développement technologique sont critiquées à partir de 1970. Des théories placent la connaissance scientifique et l’innovation au cœur de la croissance économique. Ces évolutions ouvrent la science aux influences extérieures.
Le professeur de philosophie des sciences Arie Rip relève l’importance prise par l’idée de «recherche stratégique». Une recherche fondamentale menée dans l’espoir qu’elle produira une large base de connaissances susceptibles de résoudre les problèmes actuels ou futurs. Le chercheur néerlandais montre comment des universités s’engagent dans le développement socioéconomique régional. Encouragent une science stratégique.
«Le travail de recherche qui a conduit à cet ouvrage cherchait à saisir si le diagnostic de la science stratégique se vérifiait en Flandre et en Wallonie», explique Nathan Charlier. «Et, le cas échéant, quelle forme il prenait dans ces deux régions. Il s’est agi de caractériser les deux régimes régionaux en vigueur. Pour analyser les évolutions qui les marquent. Ainsi que les dynamiques de conflit et de consensus, de pouvoir et de résistance qui s’y jouent.»
Axer sur la compétition ou le redéploiement industriel
«En Flandre, l’imaginaire scientifique vise à faire de cet espace une top-région performante et compétitive», constate le docteur en Sciences politiques et sociales. «Une forme particulière du régime de science stratégique en résulte, où une certaine vision de l’excellence est promue. Dans une logique de compétition permanente pour la performance.»
«L’imaginaire sociotechnique wallon mobilise la recherche en vue d’un redéploiement industriel. En Wallonie, les autorités politiques ont longtemps hésité avant d’élaborer un projet stratégique pour la Région. Notamment à cause d’un conflit entre régionalistes et communautaristes. Ce n’est qu’au milieu des années 2000 qu’un discours orienté vers l’avenir de la région et un projet collectif ont été forgés avec le Plan Marshall.»
L’analyse des situations et des discours récoltés ou produits lors des entretiens montre que ces deux imaginaires orientent la recherche. Affectent ce que les chercheurs sont encouragés à faire.
L’univers impitoyable des chercheurs
En Flandre, la compétition pour la performance limite la prise de risque des chercheurs. Les scientifiques ne s’engagent que dans des projets où ils sont certains de pouvoir publier. Beaucoup et rapidement.
Les décideurs wallons gouvernent en créant des opportunités. Contrairement à la Flandre, ils n’évaluent pas de manière stricte les résultats des institutions ou des projets financés. Ce qui laisse des marges d’adaptation aux scientifiques.
«Les impacts des régimes actuels pour les jeunes chercheurs sont inquiétants», observe le chercheur au département des Sciences de la santé publique à l’ULiège. «Une part significative de ces travailleurs est sujette à une précarisation sur le plan socioéconomique. Ils et elles enchaînent les contrats de courte durée sans assurance que les projets suivants seront financés. Doivent parfois travailler à temps partiel. Ou entrecouper leur travail avec des périodes de chômage.»
Pour Nathan Charlier, «les modalités de gouvernement de la recherche dans le régime flamand sont à mettre en cause. La massification de la recherche va de pair avec une augmentation de la compétition. Les universités sont incitées, sur le plan financier, à augmenter sans cesse leur nombre de doctorants. Et leur nombre de publications en comparaison avec les autres.»
«Les conditions de financement de la recherche en Wallonie n’offrent pas de meilleures opportunités. La concurrence pour les postes permanents y est très élevée. Et elle se joue dans un cadre international où les candidats se démarquent les uns des autres par leur nombre de publications. Ces conditions ont tout pour décourager les jeunes chercheurs de persévérer dans cet univers.»