Même à très faibles doses, pesticides, phtalates, bisphénols et autres perturbateurs endocriniens nuisent, notamment, à la reproduction. L’équipe de Anne-Simone Parent, médecin pédiatre au CHU de Liège et investigatrice principale du laboratoire de neuroendocrinologie au GIGA (ULiège), vient de montrer que leurs effets délétères se répercutent au moins jusqu’à la troisième génération descendant d’une rate exposée à un cocktail de 13 perturbateurs endocriniens parmi les plus couramment rencontrés dans notre environnement.
La piste hypothalamique
« Les effets des perturbateurs endocriniens sur la fertilité et le développement reproducteur représentent une préoccupation croissante dans les sociétés modernes. Bien que le contrôle neuroendocrinien de la maturation sexuelle soit une cible majeure de ces molécules, on sait peu de choses sur le rôle potentiel de l’hypothalamus dans la puberté et la perturbation de l’ovulation transmise de génération en génération », explique, en préambule, David López-Rodríguez, assistant au sein du laboratoire de la Pre Parent et premier auteur de cette étude.
« Notre hypothèse de recherche fut celle-ci : l’exposition à un mélange de perturbateurs endocriniens présents à une dose similaire à celle retrouvée dans l’environnement pourrait induire des altérations multi- et/ou transgénérationnelles de la maturation sexuelle et des soins maternels chez les rats femelles. Et ce, par le biais d’une reprogrammation épigénétique de l’hypothalamus. Nous avons étudié la transmission d’un phénotype – caractère apparent d’un individu, NDLR – reproducteur perturbé via la lignée germinale maternelle ou via des mécanismes non-génomiques impliquant des soins maternels. »
Des composés toxiques ubiquitaires
Dans les conditions actuelles de grossesse humaine, on estime qu’une femme et son fœtus sont exposés à un mélange à faible dose d’au moins 100 perturbateurs endocriniens. Jusqu’il y a peu, il était d’usage de tester l’impact sanitaire de ces molécules prises séparément. Mais, l’exposition étant le fait d’un large mélange d’entre elles, les scientifiques se sont peu à peu penchés sur les effets de ces cocktails chimiques.
Ainsi, « chez les rongeurs, il a été démontré que plusieurs perturbateurs endocriniens en combinaison produisent des effets à des doses qui, individuellement, ne sont associées à aucune réponse observable. Des groupes d’experts ont récemment demandé d’autres études utilisant des doses pertinentes pour l’environnement qui sont cruciales d’un point de vue réglementaire, car l’évaluation actuelle des risques se fonde uniquement sur les effets de chaque produit chimique », explique-t-il.
Une seule génération exposée directement
Pour avancer dans cette voie, des rats femelles adultes ont été exposées avant et pendant la gestation, et jusqu’à la fin de la lactation, à un mélange des 13 perturbateurs endocriniens : phtalate de n- butyle (DnBP), phtalate de di(2-éthylhexyle) (DEHP), bisphénol A ( BPA), vinclozoline, prochloraz, procymidone, linuron, époxynaxole, dichlorodiphényldichloroéthylène, octyl méthoxynimmate, 4-méthylbenzylidène camphre (4-MBC), butylparaben et acétaminophène.
Les descendantes F1 exposées pendant la période périnatale ont ensuite été accouplées avec des mâles non-exposés pour générer des individus aux cellules germinales F2. Des accouplements successifs de mâles non-exposés avec des femelles exposées de manière transgénérationnelle ont donné naissance à des individus F3 et F4.
La maturation sexuelle, le comportement maternel et les cibles d’exposition hypothalamiques ont alors été étudiés à travers les générations.
Altération génétique transgénérationnelle
Résultats ? Les femelles F2 et transgénérationnelles F3 ont présenté un retard pubertaire et une altération de la folliculogenèse – ce processus ovarien consiste en la maturation progressive du follicule ovarien de façon continue depuis la 20e semaine du développement embryonnaire jusqu’à la ménopause-.
« Nous avons rapporté une altération transgénérationnelle des principaux gènes hypothalamiques contrôlant la puberté et l’ovulation ( Kiss1, Esr1 et Oxt ), et avons identifié le groupe de répression épigénétique acteur de ce mécanisme », explique le doctorant.
« De plus, nous avons mis en évidence des altérations du comportement maternel, de génération en génération, causées par des anomalies de la signalisation dopaminergique hypothalamique. »
Ces effets sont particulièrement inquiétants puisqu’ils affectent des générations de rats n’ayant pas été directement exposés aux perturbateurs endocriniens.
« Ces résultats remettent en question la façon actuelle d’évaluer la dangerosité des perturbateurs endocriniens puisque leurs effets ne sont pas étudiés directement après l’exposition pendant la grossesse, mais aussi lors des 2e et 3e générations qui n’ont pas été directement exposées », conclut Anne-Simone Parent.