85 % des métiers de 2030 n’existent pas encore

8 octobre 2021
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

La prospective est un exercice délicat. L’École supérieure des Arts Saint-Luc, à Bruxelles, s’y risque cependant. Son constat? « 85 % des métiers que nous pratiquerons en 2030 n’existent pas encore », indique Olivier Gilson, sociologue et professeur à Saint-Luc. Comment les identifier ? Comment les inventer ? En faisant entrer davantage de créativité artistique dans la recherche, par exemple. C’est l’objectif du master de design d’innovation sociale, proposé depuis deux ans, et qui vient de voir une première génération d’étudiants quitter ses murs.

Privilégier la conception de solutions

« Notre école se centre sur les arts plastiques, visuels et d’espace », rappelle Marc Streker, son directeur, lors d’une rencontre organisée par SynHera, le réseau « recherche » des Hautes Écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles. « Nous sommes surtout connus pour notre formation en bandes dessinées. Il y a deux ans, avec la complicité de deux spécialistes du design, qui sont également sociologues, et en collaboration avec l’Ihecs, Saint-Luc a proposé une nouvelle formation à ses étudiants de master : le design d’innovation sociale ». Particularité de cette initiative ? Elle se base sur le « design thinking », une approche centrée sur la conception de solutions, appliquées ici à l’innovation sociale.

Le design d’innovation sociale tel qu’on le conçoit dans cette formation part du terrain. « Il ne s’agit plus du design d’objets », précise Olivier Gilson. « Comme designers, nous ne concevons pas une nouvelle forme de chaise, un objet qui va alimenter à terme la masse de déchets que produit l’humanité. La place du design dans le monde de demain, telle que nous la concevons, est de mettre l’art au service de l’innovation, et singulièrement celle qui concerne directement la société. »

Un tiers-lieu expérimental à Court-St-Etienne

Cette nouvelle application du design, Manel et Léa l’ont appliquée ces deux dernières années à un tiers-lieu : l’ancienne gare de Court-Saint-Etienne, en Brabant wallon. Leur projet, « Quai Libre », accompagnait l’équipe locale qui venait de bénéficier d’un contrat d’occupation de l’ancienne gare pour une période de huit ans. À charge pour cette coopérative sociale d’inventer la nouvelle vie du site.

« L’idée était de placer l’humain au centre du projet », indique Léa. « Ce projet appartient à tous et vit grâce à l’énergie de chacun », précise la coopérative. Bref : il y a des idées, des coopérateurs, des « clients » et une belle dose d’énergie. La démarche du design en innovation sociale appliquée à ce lieu consiste à faire des allers-retours entre les problématiques partagées par les coopérateurs, leur analyse, leur redéfinition, la proposition de solutions. Un processus en boucle, qui se réinvente sans cesse. Parce que les gens changent, les projets évoluent, le temps passe.

70 % de terrain et 30 % de théorie

Le travail des deux étudiantes a pris la forme d’une recherche évolutive, qui fait la part belle aux médias artistiques, et qui s’est nourrie à 70 % d’interventions sur le terrain et de 30 % de théorie. C’est là une des caractéristiques de cette formation basée sur des processus de co-recherches, de co-constructions. Un processus qui passe par des étapes de prototypage de solutions, de leur validation quasi immédiate sur le terrain, de l’évaluation des composantes du projet.

« L’idée est de tester les bonnes idées sur un grand nombre de personnes potentiellement intéressées, de les impliquer », dit Manel. « De vérifier que les méthodes retenues fonctionnent avec des groupes plus importants de personnes. Le test final valide le concept. Mais il ne clôt pas le processus. Ce n’est qu’un élément, un jalon dans le projet qui renvoie, le cas échéant, à d’autres étapes de la recherche en cours ». L’apport des deux étudiantes dans cette recherche-action a notamment porté sur la définition d’une identité visuelle pour le projet.

« Nos recherches sont très complémentaires à d’autres types de recherches plus académiques, celles menées en Hautes Écoles », reprend Olivier Gilson. L’enjeu est de comprendre l’environnement, dans lequel nous évoluons, de travailler avec l’humain, de mettre en application une méthodologie créative. Nos compétences artistiques permettent de fluidifier les choses. »

« Nous ne prétendons pas détenir la solution. Mais nous proposons une méthodologie qui peut accélérer les choses. »

Avec un dernier constat : 60 % des projets de design en innovation sociale lancés ces deux dernières années devraient se poursuivre dans le temps. À l’ESA Saint-Luc, on explore désormais la possibilité de mettre en place une cellule de recherche dans cette nouvelle discipline. Afin que les partenaires et les diplômés puissent poursuivre leur démarche commune. Et inventer ainsi les métiers de demain.

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