Des odeurs qui s’entendent

30 septembre 2021
par Daily Science
Temps de lecture : 4 minutes

Les signaux chimiques jouent un rôle crucial dans le monde des insectes, notamment comme arme défensive. Se faisant régulièrement attaquer par des fourmis, les larves des tenthrèdes tentent de les éloigner en diffusant un cocktail de produits chimiques que leurs agresseurs ne supportent pas. De nombreuses espèces d’insectes usent de tactiques semblables. Mais comment mesurer les effets de ces odeurs sur les prédateurs ? Des chercheurs les ont traduites en sons. Des sons qui ont eu le même effet sur les humains que les odeurs sur les prédateurs des larves des tenthrèdes.

Larve de tenthrède (Craesus septentrionalis) ©Holger Krisp

Substances chimiques traduites en son

Afin de déterminer la puissance des répulsifs olfactifs, des tests ont confronté des fourmis soit à une larve de tenthrède vivante, soit aux substances chimiques qu’elle émet. Leur réaction de fuite a ensuite été mesurée.

Mais cette façon de procéder peut s’avérer compliquée en raison de la diversité au sein du monde des insectes, de la rareté de certaines espèces et donc de la difficulté à les obtenir (sur le terrain ou via élevage en laboratoire). L’entomologiste Jean-Luc Boevé (Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique) et l’ingénieur en informatique Rudi Giot (Institut Supérieur Industriel de Bruxelles) ont choisi une alternative plus originale : la sonification.

En effet, une fois que les substances chimiques émises par une larve et leurs concentrations sont connues, il est possible de les transformer en sons.

« Prenez une petite molécule, comme l’acide acétique, qui s’évapore très rapidement. Nous l’avons associée à un son très aigu. Un son plus grave a été donné aux molécules plus grandes », explique Dr Jean-Luc Boevé. Sans entrer dans les détails, d’autres caractéristiques chimiques que la taille des molécules influencent, bien entendu, la durée du son ou son timbre. « Quant à la concentration d’une substance, elle a été associée au volume sonore », poursuit l’entomologiste.

Test de répulsion avec des fourmis en présence de substances défensives volatiles émises par des larves de tenthrèdes © J-L Boevé (IRSNB)

Des sons effrayants

Ensuite, à l’aide d’un algorithme informatique, les deux scientifiques ont envoyé la traduction sonore des paramètres chimiques à un synthétiseur et ont testé ces sons, obtenus à partir de molécules défensives isolées ou mélangées, sur des personnes volontaires.

Résultat ? De nombreux testeurs se sont éloignés des baffles dès le début de la bande sonore (cette distance a été mesurée), qualifiant les sons comme désagréables ou effrayants. Quelques-uns de ces sons pouvant servir de bande-son à un film d’horreur. « A notre grand étonnement, les tests ont montré que la réaction des humains aux sons correspondait à celle des fourmis confrontées aux odeurs », explique Dr Jean-Luc Boevé.

Mesure de la répulsion humaine en entendant des substances chimiques défensives traduites en sons © Arnaud Delahaye

Voici quelques fragments sonores d’odeurs défensives émises par des insectes. Tout d’abord, vous entendrez une version sonore de trois substances distinctes : cis,transdolichodial (durée : 22 secondes), benzaldéhyde (9 secondes) et heptacosane (19 secondes). Ensuite, les cocktails chimiques de trois espèces de tenthrèdes : Craesus septentrionalis (24 secondes), Nematus lucidus (22 secondes) et Nematus pavidus (22 secondes).

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