Le ré-ensauvagement des parcs, quand ne rien faire rapporte plus

2 novembre 2021
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

La Wallonie veut se doter de deux parcs nationaux. Dans le cadre du plan européen de facilité pour la reprise et la résilience, et avec une enveloppe dédiée de 28 millions d’euros, il s’agit de « valoriser un patrimoine naturel d’exception à des fins de conservation de la nature et de valorisation touristique ». En ce début novembre 2021, les notes d’intention des territoires candidats ont été déposées. « Le choix du gouvernement sera connu dans le courant 2022 », explique Céline Tellier, Ministre wallonne de l’Environnement, de la Nature et de la Forêt (Ecolo). «  Une condition relative au ré-ensauvagement du territoire a été intégrée dans le cahier des charges. »

Le ré-ensauvagement de l’Europe était justement le sujet de la conférence de la Pre Béatrice Cochet-Kremer et du Pr Gilbert Cochet, qui vient d’être organisée par Forêt.Nature à l’UNamur. L’occasion de mettre l’accent sur une expérience réussie de parc national, celui de la Suisse.

De l’intérêt paysager à la libre évolution

C’est en Suède, en 1909, que virent le jour les 9 premiers parcs nationaux européens. Si aujourd’hui, les 30 parcs nationaux suédois visent le double objectif de protéger les écosystèmes et de promouvoir le tourisme, les critères étaient peu clairs au début du siècle dernier. A l’instar des premiers parcs nationaux américains, tels que celui de Yellowstone créé en 1872, et ceux de Sequoia et de Yosemite en 1890, l’intérêt était essentiellement la préservation de paysages exceptionnels. L’exploitation de ces endroits par les autochtones ,via les méthodes traditionnelles, avait toujours cours.

Au contraire, en Suisse, en Engadine, dans le canton des Grisons, est créé en 1914 le tout premier parc naturel européen en libre évolution. « A partir de ce moment-là, on n’y a plus touché. Du jour au lendemain, les animaux domestiques n’y ont plus été emmenés. Les pâturages anciennement broutés par les vaches ont été laissés aux ongulés sauvages : cerfs, chamois. Le bois n’a plus été exploité, coupé. Il n’y a plus eu non plus de nettoyage : le bois mort est depuis lors laissé en place. Et, du jour au lendemain, il n’y a plus eu de chasse », explique Pre Béatrice Cochet-Kremer,  experte au Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel.

Des espaces qui demeurent ouverts

« Avec un peu plus d’un siècle de recul, grâce à cette expérience suisse, on commence à avoir une idée de la façon dont évolue un milieu en libre évolution. » De quoi battre en brèche certaines idées reçues, y compris dans les milieux écologistes.

Il est courant d’entendre que si un milieu n’est pas entretenu, il va inexorablement se fermer. Et pourtant, le parc national suisse démontre plus de nuances. S’il existe bien quelques prairies qui se sont changées en bosquets, la plupart des grandes clairières et prairies sont toujours là, plus de 100 ans après que l’homme a décidé de ne plus intervenir.

« L’ouverture pratiquée artificiellement pour et par les animaux domestiques est désormais pratiquée de façon naturelle par les ongulés sauvages. Le soir, on y voit arriver des biches avec leurs faons, des chamois. Et aujourd’hui, il y a toujours des prairies à orchidées dans ce parc national bien qu’on n’y mette plus d’animaux domestiques », analyse Pre Cochet-Kremer. Avec Pr Gilbert Cochet, attaché au Museum national d’histoire naturelle (France), elle est l’ autrice de “L’Europe réensauvagée : Vers un nouveau monde” (Actes Sud, 2020).

L’homme admis sous condition

Si l’on ne touche plus à la nature dans le parc national suisse, cela ne veut pas qu’il a été mis sous cloche, fermé à l’homme. « Bien au contraire, un réseau de sentiers a été créé. Et ce, afin de permettre à l’humain de contempler, de s’immerger dans cette nature. »

Mais, ces chemins, le randonneur ne peut pas les quitter. « D’une part, pour ne pas piétiner la végétation et les sols sensibles au tassement et à l’écrasement. D’autre part, pour protéger la quiétude des espèces animales. »

Dans ces conditions, le bivouac est interdit. Les quelque 150.000 visiteurs, randonneurs, annuels sont logés en périphérie de ce parc de 17.300 hectares. Les revenus générés par cette activité touristique et la location des terres, par l’État, aux 4 communes propriétaires du foncier du Parc National s’élèvent à près de 20 millions d’euros par an.

« Soit 1098 euros/hectare, chaque année. Laisser la forêt en libre évolution rapporte bien plus que l’exploitation de son bois. En effet, cette dernière activité rapporte 800 à 1000 euros par hectare tous les 50 ans, voire tous les siècles. Cela démontre que ne rien faire peut rapporter beaucoup », conclut Pre Cochet-Kremer, vice-présidente de l’association Forêts Sauvages.

A noter que le seul parc national belge actuel, celui de Haute Campine, créé en 2006 et s’étendant sur 5700 ha de forêts et de landes, bénéficie également de belles retombées économiques, tout en ayant créé quelque 5000 emplois.

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