Phoque gris

Nombre record de phoques morts échoués sur nos plages

5 octobre 2022
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

En 2021, 101 phoques ont été retrouvés morts ou agonisants sur une plage ou dans un port belges. C’est deux fois plus qu’en 2020. « Établir la cause du décès de ces phoques s’est avérée une tâche fastidieuse et les hypothèses sont allées bon train, car de nombreux individus semblaient avoir été décapités ou scalpés », mentionne Jan Haelters, spécialiste des mammifères marins à Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB). Dans le rapport «Echouages et observations de mammifères marins en Belgique en 2021 », s’appuyant sur des examens médico-légaux, il pointe le rôle mortifère des filets utilisés en pêche passive.

Phoques gris et communs

Deux espèces de phoques se rencontrent en mer du Nord. Le plus grand et le plus massif des deux est le phoque gris. Le mâle adulte peut mesurer jusqu’à 3,30 m de long et peser jusqu’à 300 kg. Les femelles sont plus menues avec leurs 2 m pour 190 kg. Le phoque gris se reconnaît facilement avec sa tête allongée qui fait penser à celle d’un cheval.

Quant au phoque commun, aussi appelé phoque veau-marin, il a la petite bouille ronde que l’on prête aisément aux phoques dans la culture populaire. Le mâle peut atteindre 1,9 m de long pour un poids atteignant 170 kg.

Phoque commun

« Le port et la réserve naturelle ‘De IJzermonding’à Nieuport et la ‘Petite Plage’ d’Ostende sont, depuis quelques années, des aires de repos très prisées par les phoques. Le nombre d’individus qui s’y sont prélassés en 2021 était pour ainsi dire identique à l’année précédente. »

Nombreuses naissances de phoques gris

Par contre, le nombre de phoques échoués morts sur nos rives a doublé. Comment l’expliquer ? Première partie de la réponse : certaines populations de phoques se portent bien.

« On constate un nombre élevé de naissances (10.000 en 2018) dans les colonies de l’est de l’Angleterre. Les plus importantes étant celles de Blakeney Point et de Donna Nook, où les phoques gris n’ont pas de prédateurs naturels. Les naissances de cette espèce sont également en hausse dans la mer des Wadden et en France », explique Jan Haelters.

« L’augmentation du nombre de phoques gris contraste avec l’évolution du nombre de phoques communs: la population semble en déclin en Angleterre et sa forte croissance dans la mer des Wadden s’est arrêtée. »

Une majorité de cadavres de phoques gris juvéniles

Cette dichotomie entre les deux espèces s’observe dans les conclusions médico-légales : parmi les 101 dépouilles échouées sur nos plages, si 27 étaient d’espèce indéterminée, 21 étaient des phoques communs et 53 des phoques gris. Et parmi ces derniers, environ 75 % étaient très probablement nés quelques mois auparavant, au cours de l’hiver 2020-2021.

Evolution du nombre annuel de phoques morts échoués sur les plages belges depuis 2005 © Jan Haelters / IRSNB

C’est particulièrement entre La Panne et Nieuport qu’ils se sont échoués. Et de façon concentrée en mars et en avril pour les phoques gris (39 dépouilles, soit 74%). En revanche, aucun schéma saisonnier d’échouage n’a pu être établi pour les phoques communs.

En 2021, la majorité des phoques se sont échoués entre La Panne et Nieuport, avec 2,8 phoques/km, contre 0,5 phoque/km entre Blankenberge et Knokke- Heist © Jan Haelters / IRSNB

Plaies au niveau de la tête et du cou

«  De très nombreux phoques gris portaient de profondes plaies circulaires au niveau de la tête ou du cou : la tête n’a généralement pas disparu, mais elle était fort abîmée, dénuée de peau et de tissu, avec les os du crâne apparents. Tous étaient des juvéniles, probablement âgés de moins d’un an. » Près de 8 sur 10 se sont échoués entre mars et avril, principalement entre La Panne et Ostende.

Nombre de phoques morts échoués par semaine sur les plages belges en 2021, et % de phoques avec des lésions circulaires au cou © Jan Haelters / IRSNB

Pour déterminer la cause de ces décès, un examen post-mortem approfondi a été réalisé avec l’aide de vétérinaires et d’un médecin légiste. Résultats ? Ces lésions ne peuvent avoir été l‘œuvre de renards. « En effet, les cadavres ont souvent été récupérés juste après avoir été rejetés sur la plage, ce qui exclut l’attaque post-mortem de canidés », précise Jan Haelters.

« En outre, les blessures observées ne correspondaient pas non plus à celles infligées par des phoques gris (lesquels sont capables de cannibalisme, NDLR) : ceux-ci déchiquettent complètement leurs proies. »

Phoques morts avec lésions circulaires typiques © Jan Haelters / IRSNB

La pêche passive au banc des accusés

La capture accidentelle est la cause de décès la plus probable. « Les phoques ont certainement été pris accidentellement dans des filets de pêche, probablement des filets maillants ou trémails, lesquels sont des engins de pêche passifs. »

«  Ils peuvent s’être blessés au cou en tentant de se dégager ou avoir été étranglés lors de la remontée du filet, les cordes en nylon étant alors sous tension. Une explication possible au fait que ces blessures typiques n’aient été retrouvées que sur des phoques relativement jeunes est que seules de petites têtes peuvent se glisser entre les mailles », explique le biologiste.

Les plaies que présentent ces phoques échoués vivants avec un morceau de filet autour du cou sont similaires à celles observées sur de nombreux individus morts. © Jan Haelters / IRSNB

« Une fois sevrés (généralement entre décembre et janvier), les jeunes phoques gris s’aventurent dans la mer du Nord. Or, le printemps est propice à la pêche passive dans la partie méridionale de la mer du Nord et dans la Manche orientale: des centaines de kilomètres de filets maillants et trémails sont alors déployés par les pêcheurs français, britanniques, néerlandais et danois (2 pêcheurs belges emploient également cette technique, NDLR). » Cela correspond au pic d’échouage sur nos plages (mars et avril).

Ce phénomène est loin d’être purement belge. A l’étranger aussi, de nombreux jeunes phoques gris scalpés échouent sur les plages.

Des systèmes d’alarme acoustique ont été développés pour éloigner les mammifères marins des filets de pêche. Mais les phoques s’habituent vite à ce bruit, cédant à l’attraction exercée par le filet et à la perspective de proies faciles. « Les chercheurs poursuivent leurs efforts afin de concevoir un système de dissuasion efficace », conclut Jan Haelters.

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