Comment rendre la pêche commerciale plus verte? En réduisant voire en supprimant ses émissions de gaz à effet de serre. « Mais pas uniquement », commente Francois Bastardie, qui vient de rédiger un rapport sur la question pour le compte de l’ONG Oceana. « Il faut aussi intervenir sur certains types de pêche qui perturbent les fonds marins riches en carbone. En remuant ces fonds, ces techniques de pêche renvoient vers le haut du carbone piégé dans des sédiments. Ce carbone acidifie l’océan. Ce qui n’est guère bon pour les écosystèmes marins ni pour la pêche ». C’est ce qu’on appelle le carbone bleu. »
Dix litres de carburant par kilo de crevettes
Présenté à Bruxelles, le rapport « A pathway to decarbonise the EU fisheries sector by 2050 » trace des pistes plus globales pour décarboner ce secteur en Europe. « Il est aberrant de devoir utiliser en Méditerranée dix litres de carburant pour ramener au port un kilo de crevettes », explique François Bastardie.
Ses travaux pointent notamment un chiffre global. Le secteur de la pêche en Europe (laquelle compte 22 pays dotés d’un rivage) consomme par an quelque 2,6 milliards de litres de carburant, lesquels émettent dans l’atmosphère quasi 7 millions de tonnes de CO2. Les plus gros pollueurs du secteur se retrouvent sans surprise parmi les pays les plus actifs dans ce domaine: l’Espagne (quasi 2 millions de tonnes de CO2), l’Italie, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas.
Avec ses 60 kilomètres de littoral, la Belgique n’est pas passée à travers les mailles du filet du chercheur. Les pêcheurs belges, et leur 120.000 tonnes d’émissions d’équivalent CO2 par an, se situent au niveau de l’Allemagne (110.000 tonnes).
Comment faire désormais pour réduire cette signature carbone? « Commençons par éliminer les méthodes de pêche les plus gourmandes en énergie », suggère Francois Bastardie. Et il pointe ici le chalutage de fond, où les filets profonds ratissent large, en raclant les fonds marins.
« C’est l’activité la plus énergivore », assure-t-il. « En s’attaquant au chalutage de fond, on protège aussi ces écosystèmes, dont certains sont des riches zones de capture du carbone. Double bénéfice, donc. »
Favoriser les petites unités
Une autre piste pour diminuer les impacts délétères du secteur sur le climat passe par l’utilisation de carburants alternatifs. « On parle de l’éthanol, de l’hydrogène et à terme de l’électricité », indique Vera Coelho, de l’ONG Oceana.
« Mais cela passe aussi par d’autres changements de comportements », reprend Francois Bastardie. « Je pense à l’optimisation des routes de pêche, au ralentissement de la vitesse des navires, laquelle a un impact direct sur leur consommation de carburant, et donc leurs émissions de CO2. » A noter que cette réduction de vitesse peut, d’un autre côté, s’accompagner d’une hausse des émissions de dérivés toxiques azotés. Et ce, à cause d’un régime moteur trop faible.
Le recours à des navires de pêche de taille modeste permettrait aussi de réduire la consommation globale d’énergie, selon lui. «Cela faciliterait la transition énergétique du secteur. Il sera plus facile de faire passer des petites unités à la propulsion électrique plutôt que des bâtiments de grandes tailles ».
L’adoption d’améliorations techniques, comme des filets à larges mailles, moins énergivores, ou encore des filets fabriqués au moyen de matériaux composites de nouvelle génération, plus résistants et moins lourds, entraînant moins de traînées dans l’eau sont également recommandés.
« Sans oublier la promotion d’une pêche plus raisonnée, moins massive. Ce qui aurait aussi un effet bénéfique sur les stocks de poissons et leur renouvellement », dit-il. « Tout le monde y trouverait son compte ».
Un secteur décarboné à l’horizon 2050
« L’objectif à atteindre est une réduction de 30% des émissions de gaz à effet de serre du secteur d’ici 2030 par rapport à 2005 », indique Vera Coelho. « Et de décarboner entièrement le secteur d’ici 2050. »
Mission impossible? Le rapport qui vient d’être publié rappelle qu’en Europe, le secteur de la pêche a vu ses émissions de CO2 chuter de 49% entre 1990 et 2020. Une bonne nouvelle? Pas vraiment. « Ceci ne traduit pas une mise en application de meilleures pratiques de pêche », estime la représentante de l’ONG. Elle y voit plutôt le signe d’un secteur en déclin… où de nombreux bateaux de pêche ont, en réalité, été désarmés.