Série : Pleins feux sur notre Système solaire (2/5)
Si les trois principaux satellites de Jupiter – Ganymède, Callisto et Europe – sont au cœur de la nouvelle mission d’exploration JUICE de l’Agence spatiale européenne (ESA), lancée en avril 2023, une autre Lune glacée passionne les scientifiques depuis plusieurs décennies : Titan. Le plus grand satellite de Saturne est connu comme étant la seule Lune du Système solaire à posséder une atmosphère aussi dense que celle de la Terre. Un monde-cousin dont l’étude permettrait de mieux comprendre comment la vie est apparue sur notre planète. A l’unité de recherche « Spectroscopie atmosphérique » de l’Université Libre de Bruxelles, la Pre Sophie Bauduin s’intéresse à la composition de l’atmosphère de cet astre, et plus particulièrement à la vapeur d’eau qu’elle contient.
Un monde dissimulé par son atmosphère
Alors qu’elle est découverte dès 1665 par l’astronome néerlandais Christiaan Huygens, Titan restera longtemps méconnue des scientifiques. Les premières images de cette Lune sont capturées par la sonde Pioneer 11 de la NASA en 1979, révélant un objet orange et flou, dont la surface avoisine les -180 °C.
Un an plus tard, elle est survolée par l’engin spatial américain Voyager 1, qui atteste la présence d’une épaisse couche gazeuse limitant l’observation de sa surface, composée essentiellement d’azote, mais aussi de méthane et d’hydrocarbures plus complexes. « Cette atmosphère ressemble probablement à celle de la Terre, il y a plusieurs milliards d’années, avant le développement de la vie. Etudier sa chimie pourrait dès lors nous en apprendre davantage sur la manière dont les molécules nécessaires à la vie se sont formées sur notre planète », indique la Pre Bauduin.
C’est finalement la mission d’exploration Cassini-Huygens, opérationnelle de 2004 à 2017, qui lève véritablement le voile sur la nature de Titan. Le satellite américain Cassini a, en effet, pour objectif d’étudier en détail le système saturnien, et la sonde Huygens, développée par l’ESA, permet de récolter une série de mesures uniques en atterrissant avec succès sur le satellite en 2005.
Des pluies, des lacs et des océans titanesques
Bien que les données recueillies soient encore activement analysées par les scientifiques à travers le monde, des découvertes majeures ont d’ores et déjà été réalisées. Certaines mesures semblent ainsi indiquer que Titan abriterait un large océan d’eau liquide dans son sous-sol. Un environnement où la vie pourrait s’être développée.
Par ailleurs, on sait aujourd’hui que cet astre possède un cycle météorologique, des saisons, ainsi qu’un cycle hydrologique basé sur le méthane. Il présente ainsi de grandes étendues liquides de méthane, et aussi possiblement d’éthane. « Ce cycle ressemble au cycle de l’eau sur Terre. Le méthane liquide en surface s’évapore jusqu’à former des nuages. Ce méthane retombe ensuite en précipitations, formant des mers et des lacs, pour s’évaporer à nouveau vers l’atmosphère, et ainsi de suite », explique la Pre Sophie Bauduin.
L’enveloppe gazeuse entourant le satellite contient également des traces de vapeur d’eau dont l’origine est encore débattue par la communauté scientifique.
La chasse aux spectres avec Cassini
Mesurer les concentrations exactes de cette vapeur d’eau est le but des recherches de Sophie Bauduin. Pour ce faire, la chercheuse se base sur la technique de la spectroscopie, qui consiste à exploiter le rayonnement infrarouge émis par Titan. « En traversant l’atmosphère de l’astre, ce rayonnement interagit avec les gaz présents. Or, chaque gaz interagit avec le rayonnement de façon unique et laisse une trace particulière dans le rayonnement. Un peu comme une empreinte digitale », précise la chercheuse.
Une fois sorti de l’atmosphère, ce rayonnement est enregistré par un sondeur infrarouge à bord d’un satellite. Un enregistrement qu’on appelle un spectre. Dans le cadre de son étude, Sophie Bauduin analyse, entre autres, les spectres enregistrés par la sonde Cassini de 2004 à 2017. « L’analyse des traces présentes dans le spectre nous permet d’identifier directement la nature des gaz présents dans l’atmosphère. En parallèle, l’analyse de l’intensité de ces traces nous permet de déterminer leurs quantités », résume la chimiste.
En quête de l’origine de l’eau
En établissant précisément la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère de cette Lune, la scientifique espère déterminer son origine. « De fait, il est important de connaître les concentrations puisque, selon le type source, le flux d’eau entrant dans l’atmosphère varie. »
Une hypothèse est que cette eau proviendrait de microparticules éjectées, entre autres, par les anneaux de Saturne. L’autre possibilité serait qu’elle émanerait d’une autre Lune de Saturne : Encelade. « On sait que celle-ci renferme de l’eau liquide sous sa surface, qui est expulsée en puissants geysers. Comme cette Lune ne possède quasi pas d’atmosphère, l’eau éjectée se retrouve dans l’espace. Or, on sait que l’orbite de Titan croise parfois ces panaches de gaz émis par Encelade. »
« En confirmant l’un ou l’autre postulat, on pourra non seulement mieux comprendre la chimie de l’atmosphère de Titan, mais aussi la dynamique du système saturnien dans son ensemble », conclut Sophie Bauduin.