Analyse non invasive des peintures ornant un tombeau égyptien © ULiège

Les décorations des tombeaux égyptiens affichent une diversité méconnue

10 janvier 2024
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

« Pendant longtemps, la communauté scientifique a pensé que l’art égyptien et les moyens plastiques employés étaient toujours les mêmes. Or, il semblerait que ce soit faux », déclare Catherine Defeyt, en charge des recherches sur la Matière picturale au Centre Européen d’Archéométrie (CEA) de l’Université de Liège.

De fait, grâce aux nouveaux outils et méthodes d’analyses et d’imagerie scientifiques apportés par cette discipline, les scientifiques démontrent que les techniques et matériaux utilisés par les artistes de l’époque pouvaient varier. A Louxor, l’étude de peintures ornant dix tombeaux datés d’environ 1400 à 1200 ans avant notre ère révèle des informations inédites sur les moyens plastiques utilisés. Une étude à laquelle ont participé Catherine Defeyt et deux de ses collègues du CEA.

Catherine Defeyt analysant une peinture d’un tombeau égyptien © ULiège

Des peintures sous l’œil de l’imagerie

Un projet pluridisciplinaire piloté par la Sorbonne Université (France) vise depuis 2017 à mieux comprendre la manière dont les peintres et dessinateurs égyptiens antiques travaillaient leurs œuvres. Dans ce cadre, les chercheurs ont étudié dix tombes situées dans la nécropole thébaine, un vaste cimetière antique de l’ancienne cité de Thèbes (aujourd’hui Louxor).

Au cours de quatre campagnes d’étude, les scientifiques ont analysé les représentations picturales décorant les murs de ces sépultures, qui ont en commun d’appartenir à plusieurs hauts dignitaires de l’époque comme Menna, sorte de ministre de l’Agriculture, et Nakhtamon, un prêtre durant le règne de Ramsès II.
« L’idée était, dans un premier temps, d’obtenir une documentation scientifique concernant les tombes investiguées. Ça peut paraître étonnant, mais, parmi les centaines de tombes de la nécropole, beaucoup ne sont pas renseignées en détail. On a ensuite cherché à déterminer si on retrouvait les mêmes moyens plastiques dans ces dix tombes », précise la Dre Defeyt.

Pour ce faire, l’équipe s’est servie d’une panoplie de technologies d’imagerie portables permettant d’analyser les œuvres sur place, de manière non-invasive.

« On a notamment employé la méthode de spectrométrie de fluorescence X, qui nous permet de déterminer les éléments chimiques qui constituent les pigments ». A côté, les chercheurs ont également utilisé la spectroscopie Raman, qui permet également de mieux déterminer la « palette » utilisée par l’artiste. « On a aussi exploité des techniques d’imagerie classiques, comme l’imagerie multispectrale, qui permet d’obtenir la même image de l’œuvre en ultraviolet, visible, infrarouge (IR), etc. »

Analyse chimique non invasive © ULiège
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La diversité des pratiques de l’art pharaonique

Après l’analyse de ces données, les scientifiques ont découvert que les combinaisons de pigments étaient différentes d’une tombe à l’autre. La raison ? Une hypothèse est que le prix du pigment influençait son utilisation par les peintres. Ce qui fournit aussi des informations sur le statut social du défunt et de sa famille. « Par exemple, si on retrouve dans toutes les tombes une décoration composée d’une répétition de verts, de jaunes, de bleus, et de rouges, certaines présentent des jaunes (et des rouges) composés de pigments à l’arsenic, plus onéreux, quand d’autres tombes arborent des ocres jaunes, à base de fer, moins chers », fait savoir la Dre Defeyt.

L’utilisation de certains pigments dans l’œuvre dépendrait aussi des personnes représentées dans les figurations. « On a constaté que la combinaison de pigments utilisée pour les carnations (la peau) des petits personnages (des travailleurs, des danseurs…) n’incluait pas d’orpiment ». Un pigment qui permet d’obtenir un jaune très soutenu et très brillant, comme de l’or.

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Côté technique, les chercheurs ont aussi noté que des peintres employaient « un pigment blanc pour des zones spécifiques, comme les ongles, des parties de bijoux, et parfois les yeux, et utilisaient quelquefois un peu de bleu égyptien pour rendre ces blancs particulièrement éclatants. C’est le même principe que l’azurant optique dans la lessive ! »

Pour l’équipe, ces résultats sont de nouvelles preuves qu’il existe une réelle diversité dans la pratique de l’art pharaonique. En ce mois de novembre 2023, les partenaires du projet entament une nouvelle campagne en vue d’étudier les peintures de la tombe du Pharaon Thoutmôsis III (vers 1479 – 1427 av. J.-C.), située dans la vallée des Rois. A l’avenir, les chercheurs comptent étudier d’autres tombes dans le but d’affiner leurs interprétations des spécificités techniques et matérielles des artistes de l’époque.

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