Grâce aux données du satellite d’astrométrie Gaia de l’Agence spatiale européenne, et à leur analyse par des astronomes de l’Université libre de Bruxelles, des cavités se révèlent dans notre Galaxie. Elles se situent plus près de nous que ce qu’on pensait jusqu’à présent. « Les cavités sont des régions de la Voie Lactée se présentant sous la forme d’énormes bulles dépourvues d’hydrogène neutre », précise le Professeur Alain Jorissen, directeur de l’Institut d’Astronomie et d’Astrophysique de l’Université libre de Bruxelles.« Elles sont souvent associées à des nuages à grande vitesse à leur périphérie.»
Pas que dans le halo galactique
« Jusqu’à il y a peu, les astronomes pensaient que ces objets n’étaient situés qu’aux confins de la Galaxie, dans le halo galactique. Mais il se fait qu’une de nos recherches sur les étoiles binaires, réalisées grâce aux données du satellite européen Gaia, a jeté le trouble en la matière. Une telle bulle, et le nuage à grande vitesse qui lui est associé, existeraient aussi du côté de la Grande Ourse, donc au sein même de la Galaxie. »
Pour comprendre la portée de cette découverte, il faut remettre en perspective les distances dans les galaxies. Le Soleil se situe dans le disque galactique, qui apparaît sur la voûte céleste, de même que la Voie lactée. Ce disque est entouré d’un halo galactique sphérique, où la densité d’étoiles est beaucoup plus faible que dans le disque.
Des bulles de vide dans un bain d’hydrogène neutre
Notre Galaxie affiche un diamètre de 100.000 années-lumière environ. Le halo externe se situe au-delà. Les principales étoiles de la Grande Ourse, par contre, sont situées à quelques centaines d’années-lumière de la Terre, donc au sein du disque galactique, et pas dans le halo.
La découverte d’une cavité du côté de la Grande Ourse résulte d’une mesure étonnante réalisée par la Dre Ana Escorza, aujourd’hui à l’Institut d’Astrophysique des îles Canaries, mais qui réalisa sa thèse en cotutelle entre la KULeuven et l’ULB. Lors de ses recherches sur les systèmes d’étoiles binaires dans notre Galaxie, elle a découvert une anomalie pour l’étoile 56 UMa (« 56 Ursa Majoris »), une des étoiles de la Grande Ourse.
Une étoile à neutrons ou une naine blanche ?
Dans un premier temps, les chercheurs pensaient avoir affaire à une étoile à baryum. « En général, ce genre d’étoile a pour compagne une naine blanche » explique le Pr Jorissen. « Grâce aux données satellitaires de Gaia, nous avons montré que la compagne de cette étoile était trop massive pour être une naine blanche. »
Habituellement, une naine blanche affiche une masse autour de 0,6 masse solaire. Dans le cas de 56 UMa, l’équipe de l’ULB a pu déterminer que cette masse était en réalité de 1,3 masse solaire. Soit une valeur non typique pour une étoile naine blanche.
« Nous avons publié ce résultat dans une revue scientifique. Cet article a retenu l’attention de collègues radioastronomes américains. Ils nous ont suggéré que la compagne en question pourrait ne pas être une naine blanche, mais plutôt une étoile à neutrons, ce qui ne semblait pas compatible avec la classification traditionnelle de la composante principale du système binaire 56 UMa comme étoile à baryum », précise l’astrophysicien.
L’étoile à baryum démasquée: elle n’en était pas une
Pourtant, les radioastronomes américains avançaient un argument convaincant en faveur de leur suggestion: le système 56 UMa se situe dans la même direction qu’une cavité du milieu interstellaire, probablement créée par une explosion de supernova.
Si le système 56 UMa réside effectivement à l’intérieur de cette cavité, le coupable de l’explosion est tout désigné: la supernova à l’origine de l’étoile à neutrons du système 56 UMa ! Reste cependant le problème que l’explosion d’une supernova de type II ne pollue généralement pas son compagnon au point de le transformer en étoile à baryum…
En analysant minutieusement les spectres de ce système, la Pre Sophie Van Eck (ULB) a pu confirmer quelques mois plus tard que l’étoile 56 UMa n’était pas une étoile à baryum. Cela ouvrait donc la porte au compagnon étoile à neutrons.
Nouvelle chasse aux cavités
Ceci a aidé les astronomes travaillant sur les cavités. Les radiotélescopes qu’ils utilisent pour détecter ces cavités leur donnent la direction de ces objets, mais malheureusement pas leur distance. Or, les catalogues d’étoiles réalisés grâce aux observations du satellite européen Gaia livrent ce genre d’informations.
« Face à ce premier succès, nos collègues radioastronomes ont recherché d’autres cavités du milieu interstellaire possiblement présentes dans les données obtenues au moyen du grand radiotélescope installé à Effelsberg (Max Planck Institut für radioastronomie) », indique encore le Pr Jorissen.
Une fois ces cavités repérées, il a, avec la Dre Ana Escorza, recherché systématiquement les étoiles binaires présentes dans ces cavités grâce au catalogue Gaia DR3. Et ce, en se concentrant cette fois sur les étoiles binaires dotées d’un compagnon étoile à neutrons. Ce qui a permis d’identifier les candidates possiblement responsables des deux cavités en interaction.
D’autres cavités encore, et avec elles leur lot de milliers d’étoiles binaires, sont en cours d’examen. Un nouveau champ de recherches fécond, rendu possible par l’expérience acquise en Belgique dans l’utilisation des données Gaia grâce au soutien de la Politique scientifique fédérale, du FNRS et du FWO.
« Les résultats obtenus par les travaux relatés ici jettent une nouvelle lumière nouvelle sur l’origine de ces cavités du milieu interstellaire et leur association avec des nuages à grande vitesse, lesquels étaient jusqu’alors considérés comme situés dans le halo galactique », conclut le Pr Jorissen.