Sur la piste des magnétiseurs

2 janvier 2024
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“Le retour du monde magique”, par Fanny Charrasse. Editions La Découverte. VP 23,50 euros, VN 17,99 euros

En France, dans son village natal, sur les rives du Lot, l’ancien ingénieur parisien Robert Gamel transmet des énergies positives pour rééquilibrer les corps et les guérir. «J’agis comme un canal», explique le magnétiseur de 87 ans à Fanny Charrasse. «Je capte l’énergie, je la programme et après, je la renvoie où je veux. Par les mains, le verbe, le regard, tout ce que vous voulez.»

La sociologue-anthropologue raconte sa rencontre avec Robert Gamel dans «Le retour du monde magique» aux éditions La Découverte qui fêtent leurs 40 ans d’existence. Dans la collection «Les empêcheurs de penser en rond». Nom donné par la philosophe Isabelle Stengers, professeure émérite à l’ULB.

Pour Fanny Charrasse, «ces dernières décennies, quelque chose semble avoir changé dans le rapport que les sociétés industrielles entretiennent avec les pratiques magico-traditionnelles telles que le chamanisme, la voyance, l’hypnose ou le magnétisme. Alors qu’elles étaient vues comme des vestiges de la pensée prémoderne, reliquats archaïques de temps anciens dont il fallait se débarrasser au nom du rationalisme scientifique et de la modernité, elles ont tendance à être regardées aujourd’hui avec un intérêt croissant.»

Le retour des croyances

Ce serait le retour de croyances rejetées par la science? «C’est sur ce paradoxe qu’enquête cet ouvrage», précise la postdoctorante à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. «Loin de se faire le détracteur des rêves passés de modernité et de progrès, ce livre tente d’en saisir avant tout les paradoxes actuels. Son but n’est pas immédiatement critique. Il est avant tout scientifique. Comprendre et expliquer sociologiquement le renouveau de la magie.»

En France, la chercheuse a réalisé 32 entretiens avec des magnétiseurs. Fanny Charrasse présente leur histoire de vie, retrace leurs doutes, leur quête de sens. Elle a assisté à 47 séances de magnétisme. Pratiquées pour résoudre énergétiquement des problèmes d’eczéma, d’allergie, d’arrêt de fumer, de stress, de mal-être… Par des magnétiseurs-rebouteux, des magnétiseurs-radiesthésistes, des magnétiseurs-toucheux. «La professionnalisation est l’opérateur central qui favorise la modernisation de ces pratiques magico-traditionnelles.»

L’autrice a aussi enquêté, pendant 4 mois, auprès de 23 chamanes de la côte nord du Pérou. Afin d’étudier les mécanismes sociaux qui ont conduit, en 2022, à la reconnaissance de leur pratique par le ministère péruvien de la Culture en tant que patrimoine culturel de la nation. Pas comme pratique de soins.

Un exercice illégal de la médecine

Les articles et les livres retraçant l’histoire du magnétisme sont nombreux à l’époque du fondateur du magnétisme animal, le médecin allemand Franz-Anton Mesmer, décédé en 1815. Mais Fanny Charrasse n’en a trouvé aucun sur la seconde moitié du XXe siècle. Pour en savoir plus sur la période entre 1951 et 1999, la chercheuse a plongé dans 50 ans de documents entreposés au fonds archivistique du Gorma à Paris. Cette association nationale de défense des magnétiseurs vise à éliminer les charlatans. Faire reconnaître scientifiquement le magnétisme. Réhabiliter Mesmer.

«Lorsqu’on examine l’ensemble des procès conservés dans les archives de l’association, on constate, d’une part, que c’est à chaque fois l’Ordre ou le Syndicat des médecins qui s’est porté partie civile. Et, d’autre part, que les magnétiseurs condamnés l’ont toujours été au motif que, bien que n’étant pas médecins, ils prétendaient guérir des malades.»

Aujourd’hui en France, le magnétisme est recommandé dans certains hôpitaux comme thérapie complémentaire. Il est classé par les pouvoirs publics parmi les pratiques de soins non conventionnelles.

Magnétisme – libre de droit

Faire place au magnétisme

Fanny Charrasse a comparé les façons de procéder des magnétiseurs rencontrés. La chercheuse a été surprise de constater qu’elles étaient très dissemblables malgré une même conception de l’énergie. Certains tournaient autour de la table de soin en balançant les bras. D’autres restaient immobiles et tenaient les mains au-dessus des visages des patients allongés. Ou leur parlaient sans les toucher pour faire travailler les énergies. D’autres encore dialoguaient avec leurs ancêtres afin de trouver la cause transgénérationnelle d’un mal.

Sa conclusion. «Bien qu’elle soit escortée d’une critique des limites de la médecine conventionnelle — effets secondaires des traitements, technicisation du soin, manque de temps accordé aux patients —, la légitimation du magnétisme à laquelle on assiste depuis quelques décennies ne propose pas de véritable alternative.»

«Elle implique plutôt sa poursuite sous la forme d’une modernisation réflexive. Dont l’objet est la transformation de l’hôpital en une institution en mesure de faire place à une pratique, le magnétisme, qu’il avait pour coutume de mépriser. Le rôle des sciences sociales dans cette modernisation apparaît tout à fait fondamental.»

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