Quand on jette un coup d’œil aux dernières statistiques du SPF santé publique sur les professionnels de la santé, force est de constater que la médecine légale n’est pas (et de loin) la spécialisation la plus courante. Fin 2022, parmi les quelque 31.000 spécialistes en droit d’exercer en Belgique, à peine 14 détenaient le titre de médecins légistes.
En raison de ce faible effectif, les autorités belges estiment qu’environ 70 décès suspects ne sont pas autopsiés chaque année. Face à ce problème, le SPF justice a décidé d’affecter 2,25 millions d’euros à la création de 2 nouveaux instituts médico-légaux (IML) au sein des hôpitaux universitaires de l’UZ Leuven (KU Leuven) et des Cliniques Saint-Luc (UCLouvain). Par ces fonds, des moyens pourront, notamment, être alloués à la formation d’étudiantes et d’étudiants désireux de se spécialiser dans cette branche de la médecine.
Une profession nécessaire au fonctionnement de la justice
« On pense souvent que le médecin légiste est un vieux monsieur qui passe son temps à découper des corps dans une morgue », sourit le Dr Grégory Schmit, coordonnateur du Centre de médecine forensique des Cliniques Saint-Luc et copilote du futur IML. « En réalité, c’est beaucoup plus large que ça. La médecine légale, ce n’est pas la médecine de la mort, mais la médecine au service de la justice. »
De fait, les légistes sont appelés par les parquets des procureurs du Roi pour toute mort jugée non-naturelle par le médecin urgentiste, ou par celui appelé par la police. « Elle est considérée comme telle quand on ignore comment la personne est décédée, ou quand elle est décédée de causes violentes. Cela concerne les meurtres, mais aussi les suicides, les overdoses, ou encore les accidents sur la voie publique. Le décès peut aussi être jugé suspect dans certaines circonstances », énumère la Dre Jessica Vanhaebost, médecin légiste au Centre de médecine forensique, et copilote du futur IML.
Une médecine aussi au service des vivants
Une fois sur les lieux, le légiste va examiner le corps afin de déterminer les causes du décès. « Les autopsies ne sont pas automatiques. On les réalise seulement quand on est sûr d’être face à un homicide. Ou si l’examen du corps ne permet pas d’exclure cette possibilité », fait savoir le Dr Schmit. « On en effectue environ 120-150 par an pour les arrondissements judiciaires du Brabant Wallon et de Bruxelles. »
Et leur travail ne s’arrête pas là : « Entre l’autopsie et le procès, on intervient pour toute question d’ordre médico-légal au cours de l’enquête. On peut devoir participer à une reconstitution, examiner des armes pour déterminer la compatibilité avec les lésions constatées sur le corps, etc. »
Aspects moins connus du métier, les légistes mènent aussi des examens sur les vivants. Ce sont eux qui réalisent les constats de violence physique ou sexuelle, déterminent les dommages corporels des victimes, évaluent l’aptitude à la conduite de véhicule. Ou encore réalisent des expertises génétiques en matière de filiation.
Davantage de légistes, pour plus d’autopsies
Pour accomplir toutes ces tâches, les 12 arrondissements judiciaires du territoire ne peuvent compter que sur 14 légistes. « A Saint-Luc, nous sommes trois. On assume donc des gardes toutes les trois semaines, durant lesquelles on est joignable 24h/24. Et on est parfois appelé plusieurs fois durant la même nuit, et rebelote le lendemain. Ce n’est pas toujours simple », concèdent les deux médecins. Pourtant, des étudiants frappent chaque année à la porte de l’hôpital universitaire pour suivre cette spécialisation. « Mais avec les budgets dont on dispose aujourd’hui, on ne peut former qu’un médecin assistant tous les 4 ans. »
Le financement visant la mise sur pied d’un IML à Saint-Luc constitue donc un précieux soutien. « Cet institut s’intégrera au Centre de médecine forensique existant. Grâce à ces fonds, on va moderniser nos infrastructures, et engager dans les mois à venir deux secrétaires, des techniciens de salle d’autopsie, ainsi que deux nouveaux médecins assistants. »
En étant plus nombreux, les légistes pourront mieux se partager la tâche, et donc augmenter le nombre d’autopsies. Cela leur permettra aussi de dégager davantage du temps à la recherche scientifique. « J’étudie actuellement la radiologie post-mortem, qui se développe de plus en plus dans le domaine », indique la Dre Vanhaebost. « En procédant à des scanners en amont, on peut mettre en évidence des fractures, ou encore des projectiles d’arme à feu, et ainsi mieux se préparer à l’autopsie.»
L’ambition derrière la création de cet IML sera aussi d’institutionnaliser et d’uniformiser la formation et la pratique de la médecine légale en Belgique. « Pour l’instant, d’un arrondissement judiciaire à un autre, certaines pratiques sont plus ou moins semblables. Mais d’autres peuvent différer », estime le Dr Schmit. À terme, cinq IML devraient être créés sur l’ensemble du territoire belge.