Vanessa De Greef et Jean-François Neven dirigent «Quel droit de la santé au travail après la Covid-19?» aux Éditions de l’Université de Bruxelles. S’adressant à un large public, ce projet collectif rend hommage à l’action, la recherche et la personnalité du Pr Laurent Vogel qui a enseigné le droit de la santé au travail à l’Université libre de Bruxelles (ULB) pendant plus de deux décennies.
«Toutes les contributions ont le mérite d’apporter aux lecteurs et aux lectrices des clés de compréhension de nos systèmes de prévention belge ou français, parfois en précisant l’apport, ou l’absence d’apport, du droit européen», expliquent la professeure en droit social et le professeur en droit des relations collectives de travail à l’ULB. «Penser la santé au travail et penser à la transformer de la meilleure façon qui soit sont au centre des préoccupations des autrices et auteurs. Et cela, dans la lignée du chemin tracé par Laurent Vogel.»
Dans le secteur du nettoyage
Armée d’un master en droit finalité économique et sociale, Anaïs Moons a rejoint l’équipe du Centre de droit public et social de l’ULB. Après un séjour d’études à l’University of Sussex au Royaume-Uni, été consultante juridique, la chercheuse présente et analyse de manière critique le secteur des titres-services. Sous l’angle du droit de la santé.
«Une attention particulière doit constamment être apportée pour que les mesures prises soient réalistes et ne sapent pas les apports décisifs de l’institutionnalisation de ce secteur qui a permis la sortie de milliers de travailleuses de l’économie informelle dans laquelle ces activités étaient pour la plupart prestées. Nous pensons que les commissions paritaires ont un rôle de premier plan à jouer.»
Anaïs Moons reprend les propos de l’Institut syndical européen (ETUI) qui voit dans le secteur du nettoyage «un poste d’observation privilégié des conséquences les plus délétères pour la santé de l’évolution des conditions de travail au cours de ces 30 dernières années. S’y conjuguent les risques traditionnels pour la santé des travailleurs − port de charge, chutes, exposition aux produits toxiques, aux agents biologiques, etc. − et les risques dits émergents, le stress en particulier, liés aux nouvelles méthodes de management et d’organisation du travail.»
Une directive européenne critiquée
Chercheur à l’Unité santé et sécurité au travail de l’ETUI, l’ingénieur chimiste de l’ULB Tony Musu critique la directive 2000/54/CE du Parlement européen et du Conseil.
«Le grand nombre de travailleurs infectés par la Covid-19 dans tous les secteurs d’activité professionnelle en Europe montre que la directive conçue pour protéger les travailleurs contre les risques biologiques n’est pas adaptée aux situations de pandémie», dit le spécialiste. «Adoptée il y a plus de 20 ans, elle ne prévoit pas de mesures préventives spécifiques en cas de risques biologiques généralisés au travail. De plus, le système de classification des agents biologiques prévu dans la directive n’a pas été respecté par la Commission européenne.»
«La classification dans le groupe 4 au début de la pandémie aurait permis non seulement d’améliorer la santé dans les environnements de travail, de réduire la charge de la Covid-19 dans la population, d’amortir la seconde vague de la pandémie. Mais aussi probablement de réduire les inégalités sociales entre les travailleurs les plus nantis et ceux qui le sont moins.»
Un changement radical
Pour le professeur émérite Laurent Vogel, «la crise pandémique a créé des situations d’extrêmes tensions d’où ont surgi des aspirations de changement radical. En ce qui concerne le travail, la subordination et son volet collectif qu’est l’absence de démocratie au travail ne cessent d’engendrer des frustrations, des révoltes et des remises en cause.»
Le retour à la normale serait d’autant plus difficile que la crise pandémique s’est articulée avec la crise écologique et la crise économique. «Les conditions de travail et leur impact sur la santé humaine deviennent un facteur clé pour rouvrir le débat sur les principes fondamentaux du droit du travail. Et sur les tensions qui traversent leur transformation en des normes de droit positif.»
«Que la production normative se soit pratiquement limitée à définir des régimes d’exception montre l’importance d’une recherche critique qui s’appuie également sur ce que les autres disciplines disent du travail. Et qui réponde aux questions posées par les mobilisations collectives.»
Au printemps 2020, des soignants épuisés clamaient: aujourd’hui, nous soignons, demain, nous serons dans la rue. «Si cet appel est entendu massivement, il devient la clé d’une des réponses possibles: la recherche d’une société édifiée sur des bases égalitaires à partir des mobilisations sociales.»