Innover pour survivre. C’est le leitmotiv du festival Esperanzah. Acteur de l’économie sociale, endetté suite à l’édition de 2023, il a osé un nouveau modèle économique, celui de la coopérative. A l’ouverture du festival, fin juillet 2024, 170.000 euros de parts avaient déjà été récoltés auprès de 265 coopérateurs et coopératrices. 130.000 euros étaient encore à trouver.
Un festival autofinancé
Un festival comme Esperanzah coûte un peu plus de 2 millions d’euros. Comment est-il financé ? « Principalement, à hauteur de 80-85%, par de l’autofinancement. C’est-à-dire par les recettes de la billetterie, les boissons aux bars, les emplacements des food trucks, etc. Les subsides comptent pour 15%. Et une toute petite marge, de l’ordre de 2-3%, c’est du sponsoring », précise Arnaud de Brye, coordinateur du festival.
Porté par les valeurs de l’économie sociale, le festival installé dans le superbe site de l’abbaye de Floreffe s’interdit tout un panel de sponsors. A Esperanzah, vous ne verrez ni promotion pour une banque ou un opérateur téléphonique, ni produits ou publicités émanant de multinationales de la boisson. « Et ces acteurs sont prêts à payer très cher leurs emplacements pour toucher des jeunes… Tout cela nous différencie des festivals plus industriels. Mais du coup, on se prive d’un grand pourcentage de financement qui pourrait mettre du beurre dans les épinards », analyse-t-il.
Zah, une coopérative pour sauver Esperanzah
Il y a un an, la fin de l’édition 2023 s’était soldée par une grosse gueule de bois. La météo avait été pourrie et le marché des festivals estivaux terriblement concurrentiel : les festivaliers n’avaient pas répondu présent en suffisamment grand nombre. Résultat, un déficit de près de 300.000 euros. Soit une énorme somme pour une ASBL.
« En septembre, quand on a analysé la situation, seules deux issues étaient possibles : la faillite ou la création d’une coopérative pour faire un appel à capital citoyen. On a décidé de tenter la deuxième option. Sur papier, créer une coopérative, ce n’est pas très compliqué. Mais dans les faits, si on veut mettre en place une gouvernance stricte qui permette à la structure d’être reconnue comme actrice de l’économie sociale, cela nécessite toute une série de procédures, de connaissances juridiques, qui imposent une sorte de cahier des charges à respecter. C’était un gros boulot, et cela nous a pris 3 mois. »
En parallèle, une bouffée d’oxygène est venue des fournisseurs et autres partenaires, qui ont accepté d’étaler les paiements. La création de la coopérative Zah a permis de récolter du capital, de quoi retrouver un peu de trésorerie, autorisant le payement des dettes et la mise en place du festival 2024.
Une personne, une voix
L’appel à capital, axé vers les festivaliers et les partenaires commerciaux, dure jusqu’au mois de décembre 2024. Ensuite, la nouvelle gouvernance sera mise en place : les coopérateurs et coopératrices deviendront propriétaires du festival.
« Ils vont voter nos budgets et nos plans stratégiques. Ils vont pouvoir venir avec leurs besoins en tant que festivaliers ou partenaires. Ils auront un poids dans la balance. Et comme la structure est un acteur de l’économie sociale, qu’une personne ait pris 50.000 euros de part et une autre 100 euros, toutes deux auront une voix lors des votes. » Il n’existera donc pas de coopérateur majoritaire.
Et en pratique…
Il y a 3 types de parts. Les A, pour les 10 fondateurs de la coopérative : 4 travailleurs de l’ASBL formant le conseil de direction et 6 administrateurs. Les C (100€) sont celles que les festivaliers peuvent acquérir. Quant aux parts B (1000€), elles sont destinées aux personnes morales. « En grande partie, ce sont nos partenaires historiques qui nous ont soutenus dans la galère », mentionne Arnaud de Brye.
L’un d’eux est la Brasserie de Silly. Cette entreprise familiale sise à Enghien fournit l’événement en bière depuis une quinzaine d’années. Deux raisons principales expliquent d’avoir pris des parts dans la coopérative Zah. « On est séduit par la philosophie d’Esperanzah, son idée de faire un festival différent avec des partenaires et fournisseurs locaux, de ne pas choisir des têtes d’affiche impayables, etc. Ca aurait été dommage que cet événement disparaisse. Dès lors, quand l’idée de créer une coopérative a germé, on y a montré l’intérêt », explique Lionel Van der Haegen, cogestionnaire de la Brasserie de Silly.
« Notre intérêt vient également du fait qu’avec deux autres collègues brasseurs (la Brasserie Lefebvre et la Brasserie Belgo-Sapiens) et d’autres, nous avons créé une coopérative, pas loin de chez nous, dans une ferme. Dans cette micro-brasserie coopérative, nous avons découvert une façon de faire du business complètement différente. La collaboration avec des coopérateurs qui viennent d’autres horizons, avec d’autres idées de gestion, c’est très enrichissant. Nous voulions soutenir cet intéressant modèle économique », poursuit Lionel Van der Haegen.
Arnaud de Brye en dit plus sur la différence entre les 3 types de parts, A, B et C. « Les parts A restent garantes des valeurs du festival. Cela veut dire que si les parts B et les parts C votent, par exemple, l’arrivée du Coca-Cola sur le festival, les fondateurs pourront refuser, car ce choix contrevient aux valeurs du festival. »
Si les coopérateurs ne pourront pas décider de la programmation, « il faut qu’en interne, on garde cette liberté artistique liée à un marché très compliqué », ils pourront par contre intervenir sur le montant alloué aux têtes d’affiche. Mais aussi sur la proportion des cachets versés aux têtes d’affiche, aux groupes découvertes, aux groupes belges. Ces derniers comptant pour plus de 50 % de la programmation.
Soutenir un modèle alternatif
Les festivaliers coopérateurs pourront aussi intervenir dans le choix de la thématique politique abordée dans le village des possibles. Cette année, la décolonisation était mise à l’honneur avec la campagne « Omerta coloniale, réveil international ». Et ce, via des stands d’assos, des séances de cinéma, des débats, une scène ouverte.
« Cela a beaucoup de sens d’avoir un festival qui mêle à la fois un côté festif et un côté militant. Cela aurait vraiment été dommage que cette initiative se perde. En parallèle, promouvoir le modèle de coopérative, c’est du bon sens. En devenant coopératrice, je souhaite soutenir ce modèle économique et juridique qui permet à plein de personnes de décider ensemble. Je proposerai que, l’an prochain, la campagne politique soit davantage visible », explique Célia (prénom d’emprunt), bénévole depuis 4 ans et coopératrice d’Esperanzha.
En ce début d’après-midi du samedi, elle tient al’Bar à COOP’ avec Romane, bénévole depuis 5 ans et coopératrice également, laquelle plussoie : « je voulais soutenir le festival auquel j’adhère depuis quelques années. Mais aussi participer à un modèle de construction différent et faire en sorte que ça continue ! »