Docteure en psychologie clinique et thérapeute familiale, Stéphanie Haxhe témoigne de son vécu dans les «Frères et sœurs, des liens à soigner» aux éditions Érès. Son intérêt pour la fratrie a orienté sa carrière.
Être la cadette de deux filles, comme l’était sa mère, a été le moteur de sa recherche de fin d’études en psychologie. «Réaliser des rencontres avec des fratries a représenté le moment le plus captivant de mes études à l’ULiège», raconte la formatrice et superviseuse à l’«Ardoise pivotante». Un institut liégeois de thérapie familiale, de formation et de clinique contextuelle.
Une approche contextuelle
Encouragée par son directeur de recherche, Stéphanie Haxhe soutient une thèse de doctorat sur la parentification de l’enfant. Suivie, à San Francisco, d’une recherche postdoctorale sur le rôle de la fratrie. Et d’une formation en thérapie contextuelle fondée par le psychiatre étatsunien Ivan Boszormenyi-Nagy.
La thérapie contextuelle se préoccupe de réciprocité, d’équité et de loyauté dans les relations proches. «Les thérapeutes contextuels visent la restauration d’un lien juste et responsable entre les membres d’une famille, et un donner-recevoir équitable entre les générations», résume sa veuve Catherine Ducommun-Nagy, professeure associée de thérapie du couple et de la famille à la Drexel University de Philadelphie aux États-Unis.
«La clinique thérapeutique décrite dans ce livre travaille avec les membres de la famille – frères, sœurs, parents – sur leurs liens», précise Stéphanie Haxhe qui reçoit des couples, des fratries et des familles au Service de santé mentale de Verviers.
Protéger le plus faible
Les enfants apprennent à partager, lutter, négocier au contact de leurs frères et sœurs. Selon la psychologue, «plus les enfants développent la palette de ces expériences, plus ils développent leurs compétences sociales. L’adulte doit se balader sur un fil entre présence, réassurance et non-interventionnisme permanent. Certains parents, par crainte des conflits, s’interposent sans cesse entre leurs enfants. Ce qui, à terme, peut créer une distance physique et émotionnelle entre eux.»
«Protéger celui qui semble le plus faible, voler sans cesse à son secours peut se révéler contre-productif. Le plus fort, ou prétendu tel, risque d’apprendre que son agressivité est déplacée et mauvaise. Et tentera de la maîtriser, de la refouler voire de la retourner contre lui. Le plus faible, ou prétendu tel, risque de son côté de se convaincre qu’il n’a pas les armes pour se défendre. Ce qui pourrait impacter son estime de lui et de sa façon de se positionner dans d’autres relations, amicales notamment.»
Jouer en fratrie
Les rapports avec les frères et sœurs s’acquièrent souvent par le jeu. «C’est du jeu que l’enfant tire son plaisir, de même que les expériences les plus importantes pour son développement», souligne Stéphanie Haxhe. «En matière d’affirmation de soi, de rivalité-solidarité, de domination-soumission, le souci des parents et des intervenants est souvent de connaître les limites du jeu.»
L’adulte devrait encourager l’enfant à prendre le risque d’un jeu sans en connaître la fin. En assurant qu’il sera présent si cela tourne mal. «L’adulte peut également être attentif à ce que le jeu démarre sur une envie et un consentement mutuel des enfants. Ainsi qu’à la possibilité pour chacun de sortir du jeu à tout moment.»
«De manière générale, l’exportation des apprentissages réalisés au sein de la relation fraternelle et l’impact sur d’autres relations sont encore largement sous-estimés.»
Les liens fraternels influencent les couples
La psychologue puise dans ses entretiens avec des couples, des familles séparées ou recomposées, pour évoquer des problèmes de couple. «Certains adultes ont des liens fraternels nourrissants et souhaitent la même chose à leur partenaire. D’autres ont l’idée que la fratrie est un terrain de lutte et qu’il ne faut pas se laisser faire. D’autres encore pensent qu’il faut encaisser et ne rien dire, et ainsi de suite. Certains conjoints, enfants uniques, se sentent désarmés pour soutenir leur partenaire.»
Des difficultés en fratrie, affaiblissent-elles ou renforcent-elles les loyautés du couple? «À défaut d’une alliance conjugale solide, une coalition voit le jour contre la famille et/ou la fratrie de l’un, ou des deux. Dans certaines situations, le conjoint se retrouve dépositaire d’un vécu impossible à dire au sein de la fratrie. La colère, la pose de limites, le règlement de comptes se font à travers un conjoint qui quelquefois cache le conflit larvé au sein de la fratrie.»
La modification des couples et des familles séparées ou recomposées peut faire émerger des conflits… «Cette mise en lumière, d’abord difficile, représente néanmoins une opportunité de nettoyer au bon endroit ce qui doit l’être», constate Stéphanie Haxhe.