Série : Les Hautes Fagnes, un patrimoine exceptionnel (1/3)
La station scientifique des Hautes Fagnes fête ses 100 ans. L’occasion était belle d’organiser une exposition, « La découverte des Hautes Fagnes », mettant en valeur la riche histoire qui entoure ce site de recherche de l’ULiège, le rôle clé joué par Léon Fredericq dans sa création et quelques-unes des fascinantes découvertes qui s’y sont déroulées. C’est notamment le cas du Pavé Charlemagne, une voie ancestrale traversant de part en part les tourbières et marais du haut plateau fagnard.
Avoir les pieds au sec
Une tourbière est une zone humide. Y marcher n’est pas une sinécure. Ce qui n’est pas aisé pour un homme l’est encore moins pour un véhicule transportant des charges. Afin de résoudre ce problème, une route ou plutôt un pont, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Pavé Charlemagne, a été construit à travers le haut plateau fagnard. Long de 6 kilomètres, il enjambait les marais dans l’axe nord-ouest / sud-est.
Selon les datations réalisées au carbone 14, mais aussi par palynologie (étude des grains de pollen et des spores) et dendrochronologie (étude des cernes annuels de croissance), le Pavé Charlemagne aurait été construit entre la fin du 5e siècle de notre ère et le 7e siècle. Il serait tombé en désuétude à la fin du Moyen Âge, pour des raisons qui nous échappent encore aujourd’hui. Cette voie originale à travers les Hautes Fagnes aurait donc été empruntée pendant près de 1000 ans !
« Ses premiers vestiges ont été mis au jour lors de travaux réalisés en 1768 dans l’optique de créer une route commerciale permettant de relier le Duché de Luxembourg et le Duché de Limbourg sans passer par la principauté de Liège. Et ce, pour éviter de devoir y payer un impôt. Suite à cette découverte, il a été décidé non pas de construire une nouvelle route, mais de restaurer l’ancienne. Ce projet ne verra finalement jamais le jour avec la survenue du Régime français », précise Serge Nekrassoff, historien et co-commissaire de l’exposition.
Une panoplie de techniques de construction
Plus récemment, plusieurs campagnes de fouilles, dont les deux menées dans l’entre-deux-guerres par l’Abbé Bastin et Pr Léon Fredericq de l’ULiège, ont permis de mettre en évidence l’usage de techniques de construction différentes en fonction des terrains traversés.
Sur sol ferme, le revêtement du Pavé Charlemagne n’était qu’un simple lit de cailloux et de pierres. Mais lorsqu’il s’agissait d’emprunter un sol tourbeux gorgé d’eau, la route se parait de contreforts et de pilotis sous-jacents. « Plus le sol était détrempé, plus la structure capable de supporter le transport de lourdes charges devenait complexe », poursuit Serge Nekrassoff.
Faits de troncs et de branches d’arbres des alentours, les vestiges des pilotis et contreforts ont traversé les siècles. Le pH très acide et les conditions anoxiques des tourbières sont des conditions extrêmement défavorables au développement de bactéries dégradant la matière organique. A contrario, elles sont très favorables à la conservation du bois. « En fait, sous ces conditions particulières, le bois se fossilise », précise Océane Mest, historienne de l’art et muséologue, co-commissaire de l’exposition, en montrant les deux morceaux multicentenaires des piquets du Pavé Charlemagne exposés.
Transport de minerais
« En l’absence de sources écrites, la question de l’identité de ses constructeurs et de ses fonctions continue de faire l’objet d’hypothèses. Cependant, compte tenu de sa robustesse et de largeur de près de 6 mètres, on peut supposer que le Pavé Charlemagne a été construit pour supporter de lourdes charges comme des minerais », notent les co-commissaires.
Lors de la dernière campagne de fouilles, en 2004, des carottages ont été réalisés contre les bords de la voie. « Au niveau de la période correspondant au début de l’utilisation du Pavé Charlemagne, on a retrouvé des quantités de plomb et de zinc trop importantes pour être d’origine naturelle. Il y a donc probablement eu une activité anthropique qui a généré un apport de ces éléments chimiques. Et justement, à La Calamine (commune non loin, NDLR), du minerai de zinc a été exploité dès l’Antiquité… », précise Serge Nekrassoff.
Une roue exceptionnelle
Un autre indice accréditant l’usage du Pavé Charlemagne comme d’une voie de transport est la découverte, en bordure de la route, d’une roue de chariot médiéval. « Daté du 12e ou du 13e siècle par carbone 14, nous pouvons en déduire que le Pavé Charlemagne était toujours utilisé au cœur du Moyen Age », poursuit l’historien.
Cette découverte est exceptionnelle. En effet, les exemplaires de véhicules du Moyen Age parvenus jusqu’à nous sont excessivement rares. Malheureusement, le trésor fagnard n’est pas visible à l’exposition. Il demeurerait dans les réserves de l’Agence Wallonne du Patrimoine.