Au cœur de la genèse du système vasculaire cérébral

3 février 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

Mammifères, oiseaux ou encore reptiles : tous les vertébrés ont une barrière hémato-encéphalique. Cette protection du cerveau se met en place très tôt au cours de la vie, au stade embryonnaire, in utero. Pr Benoît Vanhollebeke, directeur du laboratoire de Signalisation Neurovasculaire (ULB) s’intéresse particulièrement aux signaux chimiques nécessaires à sa formation. Le Prix triennal de la Fondation Simone et Pierre Clerdent qu’il a récemment remporté permettra de tester une hypothèse expliquant comment la vascularisation du cerveau est organisée et régulée chez les vertébrés.

Les vaisseaux sanguins ont pour fonction d’acheminer l’oxygène et les nutriments dans tout l’organisme. Ils ont vu le jour au cours de l’évolution, au fur et à mesure que les organismes se sont complexifiés et ont vu leur taille augmentée. En effet, les cellules individuelles n’ayant plus accès à l’oxygène de l’environnement, il était nécessaire de développer un système interne de distribution.

A chacun sa perméabilité

« Ce concept de distribution est bien connu. Ce qui l’est moins, c’est la variabilité de perméabilité de la paroi des vaisseaux sanguins suivant les tissus qu’ils perfusent. En effet, leurs fonctions s’adaptent aux besoins locaux des organes. »

Prenons l’exemple du foie. Il est connu pour être le siège d’importants échanges métaboliques. Il est dès lors crucial que ses vaisseaux sanguins soient très perméables afin de faciliter les échanges entre le sang et le fluide dans lequel baignent les cellules du dit organe.

A contrario, le cerveau, quant à lui, ne peut pas être directement au contact avec tout ce qui circule dans le sang. Les vaisseaux y sont donc davantage imperméables. Neuroprotection et homéostasie « Et cela pour deux raisons. La première est à mettre en relation avec la nature fragile et délicate du cerveau. Pour le protéger, il est essentiel que les agents pathogènes (bactéries, virus, parasites) qui circulent dans le sang ne puissent pas accéder au système nerveux central. Il en est de même avec certains composants endogènes du sang comme le fibrinogène ou l’albumine, toutes deux des protéines neurotoxiques», explique l’investigateur du WEL Research Institute.

La seconde raison concerne le liquide cérébrospinal ou liquide céphalo-rachidien,  un liquide biologique transparent dans lequel baignent le cerveau et la moelle spinale. Sa composition doit rester parfaitement stable au cours du temps. « Car c’est de cette stabilité que dépendent notre perception et notre interaction stables avec l’environnement.»

« Neuroprotection et homéostasie expliquent que les vaisseaux sanguins du cerveau ont des propriétés tout à fait particulières en termes de perméabilité, propriétés qu’on appelle barrière hémato-encéphalique.»

Les vaisseaux sanguins (en vert) traversent les méninges (en rouge) pour envahir le cerveau. Les noyaux cellulaires sont colorés en bleu © Giel Schevenels

Double enjeu clinique

Au niveau clinique, l’intérêt de la barrière hémato-encéphalique est double.

Du fait de sa fonction de neuroprotection, elle empêche aussi la pénétration de molécules diagnostiques ou thérapeutiques que l’on voudrait administrer à un patient. « Cela pose un gros problème dans le cadre de protocole de traitements de maladies neurologiques. Tant les instances académiques que l’industrie cherchent à développer des stratégies pour pouvoir ouvrir cette barrière de manière contrôlée.»

« L’autre enjeu clinique est tout aussi important. La barrière hémato-encéphalique protectrice du cerveau s’avère être assez fragile. Quand une pathologie neurologique se développe et qu’il y a soit un manque d’approvisionnement d’oxygène, soit une infiltration d’une composante inflammatoire ou oxydative, on constate une défaillance de cette barrière hémato-encéphalique qui devient dès lors perméable. C’est presque systématique. Un cercle vicieux se met alors en place aggravant l’inflammation », explique Pr Benoît Vanhollebeke.

Halte aux maladies neurodégénératives

L’enjeu clinique des recherches menées par le Pr Benoît Vanhollebeke et son équipe s’inscrit dans la découverte de mécanismes permettant de renforcer les propriétés de la barrière hémato-encéphalique lorsque celle-ci est défaillante. De nombreuses pathologies graves sont concernées, comme l’accident vasculaire cérébral , la sclérose en plaques, le Covid long.

Lors d’un AVC, l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique peut être altérée, compromettant la protection du cerveau, aggravant les lésions tissulaires et augmentant le risque d’hémorragie.

La sclérose en plaques est une maladie neurodégénérative causée par un afflux important de cellules immunitaires du sang vers le cerveau qui y attaquent les gaines de myéline des neurones.

« Quant au Covid long ou neuro-Covid, les séquelles neurologiques sont parfois très graves et sont clairement liées à un dysfonctionnement très important de la barrière hémato-encéphalique. »

Rectifier le dysfonctionnement de la barrière céphalorachidienne pourrait être une voie thérapeutique prometteuse.

Réparer la barrière

La barrière hémato-encéphalique protège le cerveau dès ses premiers stades de formation in utero. Avec son équipe, le Pr Vanhollebeke cherche à détecter, chez les embryons (de souris) très précoces, les toutes premières protéines et autres molécules relarguées par les cellules neuronales qui permettent aux vaisseaux sanguins d’acquérir leurs propriétés particulières.

« Au laboratoire, nous essayons de découvrir quelles sont les molécules qui permettent, ensuite, de maintenir la barrière chez l’adulte. En effet, quand ces injonctions neuronales cessent, les vaisseaux sanguins perdent leur propriété de barrière. Jusqu’à présent, nos travaux montrent qu’il s’agit des mêmes signaux qu’in utero. Dans un second temps, nous espérons pouvoir développer une certaine forme d’ingénierie pour réadministrer ces mêmes molécules chez un patient où la barrière est dysfonctionnelle », précise Pr Vanhollebek, lauréat du 6e Prix triennal de la Fondation Simone et Pierre Clerdent.

Les 400.000 euros de ce prix permettront de continuer à explorer durant 3 ans les mécanismes de vascularisation du cerveau et ses régulations chez les vertébrés.

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