Le vallon Schmerling, c’est le berceau de la paléontologie. C’est, en effet, dans une caverne de ce site de la commune de Flémalle (province de Liège) qu’a été découvert le tout premier ossement de Néandertalien au monde. C’était en 1827 par Philippe-Charles Schmerling. « Le secteur central du vallon a ensuite fait l’objet de nombreuses autres fouilles archéologiques. Paradoxalement, la genèse et le développement de l’ensemble du site n’ont, au contraire, fait l’objet d’aucune recherche particulière. Notre étude comble cette lacune », explique Luc Willems, géomorphologue et karstologue. Cette étude, qui sera publiée dans le Bulletin des Chercheurs de la Wallonie, Daily Science a pu en prendre connaissance en primeur.
Cette recherche, mêlant étude des archives, relevés de terrain et analyses, révèle que la morphologie du vallon Schmerling est à la fois naturelle et artificielle. Outre les phénomènes karstiques classiques (creusements d’un massif calcaire par l’action de l’eau), une singularité est à pointer : l’érosion chimique du calcaire par l’acide sulfurique issus des schistes alunifères (contenant de l’alun) contigus. La morphologie du vallon Schmerling est également intimement liée à l’extraction d’alun qui a eu cours jusqu’à la fin du XVIIe siècle aux Awirs. Un savant mélange de sciences de la Terre et d’histoire industrielle.
Découverte du premier ossement de Néandertal
Plantons le décor. Le vallon Schmerling est une dépression sèche longue d’environ 300 mètres débouchant dans le ruisseau des Awirs, petit affluent de la Meuse en rive gauche, entre Liège et Huy.
« Il est constitué de trois zones bien distinctes. Celle en amont, longue d’une soixantaine de mètres, a des versants peu abrupts et occupés par des affleurements calcaires plus ou moins arrondis », explique le chercheur.
« La zone en aval, longue d’une centaine de mètres, rejoint le ruisseau des Awirs. Son relief est entièrement modifié par une ancienne carrière de calcaire et une exploitation d’alun qui s’arrêta à la fin du XVIIe siècle. »
« Entre les deux, la partie centrale de 130 mètres correspond au reste du ravin des Awirs, tel qu’il est nommé depuis le XIXe siècle. Cette falaise contient un grand nombre de grottes et autres conduits karstiques expliquant les nombreuses fouilles archéologiques qui ont débuté avec Philippe-Charles Schmerling. En 1827, il découvrit, dans la cavité qui portera plus tard son nom, le premier homme de Néandertal au monde », explique Luc Willems. Collaborateur scientifique au département de géologie de l’ULiège ainsi que Maître-Assistant à la Haute École Charlemagne, il fait partie des Chercheurs de la Wallonie, une association belge œuvrant dans les domaines de l’archéologie (le plus souvent préhistorique), de la spéléologie, de la biospéologie, de la géologie et de la minéralogie.
Un vallon à deux faces géologiques
La morphologie du vallon Schmerling est peu courante. Son fond suit la ligne de contact entre les calcaires du Viséen (formés il y a 346 à 330 millions d’années) et les schistes du Namurien (formés il y a 326 à 313 millions d’années). Les calcaires forment le versant de rive droite de la dépression, les schistes celui de rive gauche.
A hauteur de la cavité Schmerling, le ravin des Awirs est délimité par une falaise calcaire en retrait. Quant au versant schisteux, sa limite supérieure est de plus en plus surbaissée par rapport à celle au sommet de la falaise. Comment expliquer cela ? « Les calcaires résistent à l’érosion de surface, mais sont perméables à cause des différentes fractures qui les parcourent. À l’inverse, les schistes sont imperméables, mais friables et fortement érodés en surface. Ainsi, prenons un autre exemple que celui des Awirs, la Calestienne, au socle calcaire, atteint plus de 250 mètres d’altitude, tandis que la dépression de La Famenne qui la borde, faite de schistes, plafonne à 200 mètres », explique Luc Willems.
Par contre, en Famenne-Calestienne, on ne trouve pas de vallon tel que celui des Awirs qui présente une disposition des couches de roches totalement différente.
Deux nouvelles cavités
La tomographie électrique a permis de sonder les entrailles rocheuses. « Cette technique consiste à planter des électrodes en surface, et à faire passer de l’électricité de l’une à l’autre. S’il y a un vide, la résistance électrique est élevée : l’électricité ne passe pas bien. Elle est minimale en présence de roche (l’électricité passe alors très bien, NDLR) et sa valeur est moyenne s’il y a de l’eau. »
Cette méthode de prospection électrique par courant continu a permis de découvrir deux nouvelles cavités non loin de la caverne Schmerling. « Nous avons déposé une demande de financements pour que des fouilles archéologiques y soient menées. »
Une paroi dégagée artificiellement
Cela porte à sept, le nombre de cavités répertoriées dans le vallon Schmerling. Celles en altitude, dont la caverne Schmerling, ont été entièrement fouillées. Celles plus basses ne l’ont, par contre, pas été. Et pour cause, elles n’ont été dégagées et amenées à l’air libre que récemment. Et ce, par l’affaissement des schistes causé par les activités industrielles d’extraction de la terre alunifère. Ces cavités n’étaient donc pas accessibles aux hommes préhistoriques.
Les schistes du Namurien sont, à cet endroit, riches en pyrite et en alun. « La pyrite, en s’altérant avec l’eau d’infiltration, libère de l’acide sulfurique. Celui-ci a littéralement rongé sur une dizaine de centimètres le calcaire. C’est cela qui donnant à la surface de la paroi dégagée artificiellement un aspect pourri, irrégulier comme du crépi. Rien à voir donc avec les habituels affleurements calcaires homogènes et lisses. »
Un risque d’effondrement
En géologie, rien n’est figé. Les phénomènes karstiques évoluent dans le temps. Qu’en est-il du risque d’effondrement des cavités ?
« La partie la plus « dangereuse », c’est celle qui se trouve vers la cavité Schmerling. Les strates supérieures sur la falaise calcaire sont, en effet, en dévers, en surplomb, par rapport au vide. De gros blocs sont d’ailleurs tombés dans les années 90. »
Lorsque le médecin Schmerling a découvert le tout premier ossement de Néandertalien, en 1827, la grotte qui portera plus tard son nom n’avait pas la même configuration qu’aujourd’hui : elle était beaucoup plus grande. Mais une partie de celle-ci s’est effondrée suite à l’exploitation de la carrière de calcaire, laquelle perdurera jusqu’au début du XXe siècle.
Le projet Schmerling a été financé par la Haute École Charlemagne, en partenariat avec l’agence wallonne du patrimoine (AWAP), l’Université de Liège, les Chercheurs de la Wallonie et le Préhistomuseum de Ramioul. Un livre dédié aux résultats de cette recherche sera publié courant 2025.