C’est une première dans l’exploration spatiale : la mission Proba-3 de l’Agence spatiale européenne (ESA) vient de réussir à créer une éclipse totale artificielle du Soleil dans l’espace pendant une longue période. Les deux petits satellites de la mission se sont mis en formation à 60 000 km de la Terre pour bloquer la lumière solaire… et offrir à la science une vision inédite de la couronne du Soleil. Une prouesse technique qui ouvre une nouvelle ère dans l’étude de notre étoile grâce, en bonne partie, à des scientifiques et des industriels de Belgique.
Les deux satellites se sont alignés avec une précision millimétrique. L’Occulter porte un disque de 140 centimètres conçu pour masquer le Soleil. Le Coronagraph se place exactement à 150 mètres derrière lui. Résultat : une éclipse solaire, comme on en voit depuis la Terre… mais fabriquée par satellites interposés et entièrement contrôlable. Pendant plusieurs heures, les deux engins ont volé en formation serrée sans aucun guidage depuis le sol.
Une éclipse pour observer l’invisible
Pourquoi tant d’efforts pour bloquer la lumière du Soleil ? Pour pouvoir observer la couronne solaire. Cette atmosphère externe, souvent invisible à cause de l’éclat solaire, est pourtant la clé de nombreux phénomènes qui influencent notre planète, comme le vent solaire ou les éjections de masse coronale (CME), ces violentes explosions de particules qui peuvent perturber satellites, avions ou réseaux électriques.
Le télescope embarqué sur le Coronagraph, baptisé ASPIICS (pour Association de Vaisseaux Spatiaux pour l’Investigation Polarimétrique et Imagerie de la Couronne du Soleil), a été conçu pour capter cette couronne avec une précision inégalée. Mis au point par un consortium mené par le Centre Spatial de Liège, ASPIICS profite de l’ombre créée par l’Occulter pour prendre des images d’une netteté exceptionnelle.
Lorsque l’ombre de 8 cm produite par le disque passe pile sur l’ouverture de 5 cm du télescope, la lumière du Soleil est totalement bloquée. Résultat : une image claire, sans éblouissement, qui révèle des détails impossibles à voir autrement de la couronne.
Des images traitées à l’Observatoire royal de Belgique
« J’étais absolument ravi de voir les images, surtout dans la mesure où nous les avons obtenues dès la première tentative », rapporte le Dr Andrei Zhukov, chercheur principal pour ASPIICS à l’Observatoire Royal de Belgique, dans la communication de l’ESA faite le 16 juin 2025 depuis le salon de l’air et de l’espace du Bourget (Paris). « Nous travaillons désormais à prolonger le temps d’observation à six heures dans chaque orbite. »
Les images ont été traitées par le Centre des opérations scientifiques (SOC) d’ASPIICS hébergé par l’Observatoire royal de Belgique. Là, une équipe dédiée de scientifiques et d’ingénieurs crée des commandes opérationnelles pour le coronographe en fonction des demandes de la communauté scientifique et partage les observations qui en résultent.
« Chaque image complète, couvrant la zone allant du Soleil occulté jusqu’au bord du champ d’observation, est construite à partir de trois images. La seule différence entre elles est le temps d’exposition, qui détermine combien de temps l’ouverture du coronographe est exposée à la lumière. En combinant les trois images, nous obtenons la vue complète de la couronne », précise encore le Dr Zhukov. Ce traitement est effectué au Centre des opérations scientifiques (SOC) de l’Observatoire Royal de Belgique.
De quoi nourrir des éclipses… numériques
D’autres instruments scientifiques équipent encore Proba-3. Le Radiomètre Absolu Numérique (DARA) mesure l’irradiance solaire totale, soit l’énergie émise à chaque instant par le Soleil.
Un troisième instrument scientifique sur Proba-3, le Spectromètre Électronique Énergétique 3D (3DEES), détectera lui les électrons dans les ceintures de radiation de la Terre, en mesurant leur direction de provenance et leurs niveaux d’énergie.
Les images obtenues par Proba-3 ne servent pas qu’à la recherche fondamentale. Elles représentent aussi un tournant dans la modélisation numérique du Soleil. Jusqu’à présent, les modèles de couronne solaire se basaient sur des données incomplètes, souvent issues d’éclipses naturelles rares et brèves.
Avec Proba-3, les chercheurs disposent d’un flux régulier d’images détaillées, qui permettent de tester, affiner et valider leurs modèles. À la pointe de cette révolution, se trouve l’équipe de KU Leuven, en Belgique, qui a développé le modèle COCONUT, intégré au Centre Virtuel de Modélisation de la Météo Spatiale (VSWMC) de l’ESA.