En décembre, deux figures festives s’invitent chaque année dans les familles : Saint-Nicolas et le Père Noël. Entre carottes laissées pour l’âne, visite du « grand saint » à l’école, et lettres « envoyées » au Pôle Nord, les adultes déploient depuis des générations de petites mises en scène pour maintenir l’illusion de leur existence. Jusqu’au jour où les enfants découvrent la supercherie, bien souvent à l’occasion de ces célébrations.
Comment accompagner cette révélation ? Pour ceux encore dans l’ignorance, faut-il lever le voile avant que la vérité ne s’impose dans la cour de récré ? Et une fois le secret éventé, faut-il continuer à faire vivre ces personnages folkloriques ? Eclairage avec Moïra Mikolajczak, professeure et chercheuse en psychologie médicale, psychologie des émotions et psychologie de la santé à l’UCLouvain.
Laisser le doute s’installer
À la question de savoir si les parents doivent eux-mêmes divulguer le secret, Moïra Mikolajczak recommande plutôt de laisser l’enfant remettre spontanément en question le récit, par raisonnement, du type : « Mais la cheminée n’est pas trop petite pour que Père Noël y passe ? », ou encore « Comment rentre-t-il si la porte est fermée à clé ? ». « Les parents peuvent encourager ces interrogations et le laisser saisir petit à petit la vérité, au gré des moments de questionnements et de périodes où l’enfant veut encore y croire ».
Il devient inutile, en tout cas, de chercher à maintenir la croyance alors même que le doute s’installe. « Quand les doutes sont forts, ou que l’enfant semble assez mûr, les parents peuvent révéler la vérité. Et il est préférable que cela vienne de figures rassurantes et attachantes. »
Une révélation souvent brutale
Cette situation est toutefois un scénario idéal. Pour une large proportion d’enfants, la vérité est apprise par les pairs, à l’école, vers 7-8 ans. « Cela peut être brutal si l’enfant n’avait pas encore commencé à douter. Il peut aussi se sentir ridicule face à ses camarades, et même éprouver un sentiment de trahison. »
Il serait néanmoins exagéré de parler de traumatisme, qui survient lorsque le réel dépasse ce que le cerveau est capable d’absorber. « Dans ce cas-ci, intégrer la vérité est à la portée de l’enfant, même si ça peut prendre quelques jours. »
Reste que le moment est parfois difficile à vivre. D’autant que l’enfant comprend vite que ce n’est pas seulement Saint-Nicolas ou le Père Noël qui n’existent pas, mais aussi la petite souris, les cloches de Pâques, etc. « Il y a la disparition de ces figures, mais aussi une part d’enfance qui s’en va. Il s’agit d’une double perte, à la fois symbolique et concrète, qui se produit simultanément. »
Un mensonge culturel
Pour que l’enfant traverse cette étape plus sereinement, la Pre Mikolajczak conseille de prendre le temps d’en discuter : « Les parents peuvent expliquer pourquoi ils ont choisi de suivre la tradition et de faire croire à ces personnages. L’enfant comprendra alors que ce “mensonge” a été fait pour lui, pour lui faire plaisir, et non pour le piéger ou le ridiculiser. »
« Il faut aussi lui signifier qu’il s’agit d’un mensonge culturel, accepté par notre société, et le rassurer sur le fait qu’il peut continuer à se fier à la parole des adultes. L’enfant, si ses parents sont habituellement honnêtes avec lui, les croira. » Aussi, apprendre que ces figures folkloriques sont fictives ne provoque que très rarement une perte de confiance envers les adultes. Pour la chercheuse, si cela arrive, c’est alors le reflet de problèmes de confiance préexistants entre l’enfant et ses parents.
Une autre façon de soutenir l’enfant dans ce moment est de dissocier les pertes : « La prise de conscience sera encore plus brutale pour l’enfant si, une fois qu’il sait que ces figures n’existent pas, elles ne passent plus du tout à la maison. Il est pourtant possible de continuer à jouer le jeu, utiliser le prétexte de Saint-Nicolas, ou autres, pour offrir des cadeaux.»
Il ne s’agit pas de prolonger artificiellement le mensonge, mais de donner le temps nécessaire à l’enfant pour passer de l’univers magique à une compréhension plus symbolique des traditions. Libre aux familles d’ajuster ensuite les pratiques au fil du temps.
Une tradition aux effets bénéfiques ?
Se pose finalement la question du bien-fondé de cette tradition. Croire en ces personnages apporte-t-il un réel bénéfice à l’enfant, ou engendre-t-il des effets négatifs sous-estimés ? Selon la Pre Mikolajczak, « on ne peut rien affirmer, car il n’existe pas, à ma connaissance, d’études sur le sujet. »
« Cela dit, il y aurait des raisons de penser que les bénéfices l’emporteraient. La littérature sur d’autres croyances, notamment religieuses, montre qu’elles renforcent la résilience de l’individu dans divers aspects de la vie. On pourrait donc imaginer que ces figures festives jouent un rôle similaire chez l’enfant, qui se raccrocherait à leur venue lors de journées difficiles. »
En outre, si la découverte de la vérité amène de la déception, elle peut, une fois surmontée, se transformer en sentiment de fierté : « Je n’y crois plus, car je suis devenu grand ». Une étape d’autant plus valorisée si l’enfant devient à son tour « gardien du secret » pour les plus jeunes de la fratrie. Renforçant par la même occasion la complicité avec les adultes.