Photo © Mark Jobson

L’Homme, la nature et la technologie

5 février 2015
Temps de lecture : 4 minutes

CARTE BLANCHE

Pr Domenico Rossetti di Valdalbero, Docteur en économie (Paris) et Professeur au Collège Belgique (Académie Royale de Belgique)

 

Lunettes, couronnes dentaires et prothèses sont autant d’éléments qui aident et soulagent l’Homme. Mais lorsqu’il s’agit d’un implant ou d’une transplantation d’organe – même si éventuellement salvateurs – cela suscite l’inquiétude, la peur et le risque de rejet aussi bien au sens propre que figuré.
 
Si des chercheurs s’exaltent devant la réussite d’une greffe de cœur de porc sur un babouin, d’autres s’insurgent sur ces pratiques d’apprentis-sorcier. Les “transhumanistes” parlent d’amélioration de l’Homme qui pourrait in fine devenir presqu’éternel grâce aux progrès de la science et de la technologie.
 
ADN et OGM, nucléaire, infrastructures de transports et de télécommunications, pesticides et antibiotiques: la science et la technologie touchent tous les secteurs et les sphères de la société. La géo-ingénierie, spécialité plus en vogue aux Etats-Unis qu’en Europe, promeut par exemple de résoudre le problème du changement climatique en fertilisant les océans pour induire la croissance de phytoplanctons qui absorberaient ainsi le dioxyde de carbone, le fameux CO2.
 
La relation entre l’Homme et la nature a de tout temps été balancée entre le souci de son respect et le besoin de son exploitation. Les jardiniers de la terre et les requins de la planète n’ont eu de cesse de s’affronter . Jamais comme aujourd’hui il n’y a eu autant de débats entre “précaution” et “innovation”, de pressions pour se déplacer rapidement (avions, autoroutes, trains à haute vitesse) que pour se ressourcer lentement (zones résidentielles calmes et silencieuses, zones vertes, parcs naturels). Comme l’écrivent justement Naomi Oreskes et Erik Conway, l’Europe est déchirée entre les marchands de doute de l’industrie et les marchands de peur de la société civile .
 
Les technologies ont-elles pour objectif de servir l’Homme ou de l’asservir? Nos téléphones intelligents le démontrent: ils assurent la liberté la plus complète en permettant de travailler, de se connecter socialement ou de s’informer là où l’on désire. Mais ils sont aussi l’objet emblématique d’une nouvelle addiction, du stress lié au règne de l’immédiateté et de l’isolement le plus complet.
 
Des dizaines d’auteurs – Rabelais, Voltaire ou Teilhard de Chardin – ont insisté sur la nécessité de conscientiser la science et d’éveiller les consciences. Au XIXème siècle, le géographe allemand Alexander von Humboldt relevait les interactions entre les forces de la nature, entre l’environnement, la vie animale et végétale.
 
Dans les années quarante du siècle dernier, l’auteur russo-américain Isaac Asimov, inventeur du terme “robot” (“corvée” en slave) énonçait trois simples lois: un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger; un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi; et enfin, un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec les deux premières lois.
 

Avec les progrès faramineux des BANG (Bits, Atoms, Neurones, Genes) et des NBIC (Nanotechnology, Biotechnology, Informatics, Cognitive sciences), les défis n’ont jamais été aussi grands. Sans doute Kasparov ne joue-t-il plus aux échecs contre l’ordinateur IBM car dorénavant ce dernier gagne toujours? Asimo, le petit robot d’Honda, ne commence-t-il pas à apprendre par lui-même à éviter de faire des erreurs?
 
En un million d’années, l’Homme est passé de l’expression orale presqu’ animale à l’interconnectivité quasi mondiale et permanente. D’après les études de prospective, le temps consacré à l’information aussi bien à des fins professionnelles que privées, ne fera que s’accentuer d’ici la fin de ce siècle .
 
Les réseaux sociaux utilisés sur les téléphones intelligents ont servi à réveiller les consciences et rassembler les esprits lors des printemps arabes. Mais le corps du dictateur libyen mutilé à coups de pieds et les atrocités de Daech se retrouvent sur les mêmes écrans. Hyper-modernité et sombre Moyen-Age se côtoient. La technologie, à l’image de l’Homme qui la façonne, peut servir le meilleur et le pire. Le philosophe allemand Hans Jonas n’écrivait-il pas: Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues (…) réclame une éthique qui empêche le pouvoir de l’Homme de devenir une malédiction pour lui.
 
Voici deux cents ans, Malthus s’est largement trompé: on ne manque pas de nourriture alors que la population a été multipliée par 7 depuis le XVIIIème siècle et la terre en 2015 a toutes les capacités pour nourrir 7 milliards de personnes. Depuis une cinquantaine d’années, de nombreux alarmistes prévoient la fin du pétrole “dans 20 ans”. Loin de moi l’idée que la science et la technologie puissent tout résoudre. Notre planète a des limites biophysiques que nous avons trop tendance à surexploiter. Mais la capacité de l’Homme – par ingéniosité ou nécessité – à trouver des solutions, à inventer, à évoluer et à s’adapter est souvent plus grande que ce que les apôtres du malheur ne veulent faire croire.
 
Au cours de ces cinq dernières décennies, le pourcentage d’illettrés a fortement baissé dans le monde (de 55 à 20%) et l’espérance de vie est passée d’un peu moins de 50 ans à près de 70 ans. Il s’agit de formidables progrès pour l’humanité que l’on doit en grande partie à la science et à la technologie. Mais plutôt que de plaider pour l’immortalité, rappelons-nous ces belles phrases de l’historien italien Benedetto Croce: “Si mélancolique paraisse la mort, je suis trop philosophe pour ne pas voir que le terrible serait si l’Homme ne pouvait mourir jamais. Vient le temps de la préparation à l’idée de disparaître“.

 

 

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