C’est parce qu’ils sont grégaires que les cafards intéressent de nombreux chercheurs. Ils permettent de mieux comprendre les dynamiques de groupe. Mais que se passerait-il si ces animaux étaient dotés de personnalités bien précises capables d’influencer le comportement du groupe ? C’est précisément en quête de cette personnalité que sont partis les chercheurs du Service d’Ecologie Sociale de l’ULB (USE) dirigé par les Drs Claire Detrain et Jean-Louis Deneubourg, tous deux Directeurs de recherches F.R.S.-FNRS.
Des comportements différents
C’est un constat récurrent qui a poussé Isaac Planas, doctorant et boursier FRIA, à s’intéresser au caractère des cafards.
« Nous faisions des analyses sur l’agrégation des cafards et nous avons remarqué que les groupes de cafards se comportaient différemment d’une expérience à l’autre mais aussi et surtout que tous les cafards ne réagissaient pas de la même manière. Certains n’exploraient pas vraiment leur environnement à l’inverse d’autres qui prenaient tout leur temps pour chercher d’autres congénères et de la nourriture », explique le chercheur.
Des cafards équipés de puces électroniques
Pour tirer cela au clair, il a équipé 304 cafards Periplaneta americana de puces électroniques capables d’enregistrer tous leurs mouvements et les a regroupés par 16. Chaque groupe a ensuite été lâché dans une arène équipée de 2 abris plusieurs fois par semaine.
Les cafards sont des animaux grégaires, ils vont naturellement se regrouper sous l’un des deux abris, il y a systématiquement une décision collective qui les pousse à choisir un abri plutôt qu’un autre.
« Nous avons donc analysé le comportement de chaque groupe à différents moments et nous avons remarqué que tous les groupes étudiés ne se comportaient pas de la même manière : tantôt ils se regroupaient rapidement sous un abri, tantôt ils exploraient l’environnement plus longtemps avant de se regrouper. Mais chaque groupe affichait toujours le même comportement. Et ce peu importe le moment de la semaine ou de la journée où il était observé. »
Voilà une constatation qui posait question. Si tous les cafards avaient la même personnalité, tous les groupes auraient dû se comporter de la même manière dans le même environnement. Contrairement aux fourmis, par exemple, les cafards n’ont pas de castes. Il n’existe pas de niveau social différent entre individus qui sous-entend un comportement différent.
Zoom sur les individus
Pour compléter ce résultat, Isaac Planas a analysé les données recueillies par les puces électroniques et c’est là que tout l’intérêt de ces travaux se trouve ! Au sein d’un même groupe, tous les cafards n’avaient pas le même comportement.
« Certains cafards filaient se réfugier sous un abri, à peine lâchés dans l’arène, alors que d’autres prenaient le temps d’explorer leur environnement avant de s’y loger. Nous avons qualifié les premiers de « peureux » et les seconds d’« explorateurs » ou d’intrépides. L’intérêt n’est bien entendu pas de coller une étiquette à tel ou tel cafard mais de comprendre comment ces personnalités interviennent dans la survie de l’espèce : les cafards ont besoin d’être agglomérés pour survivre, s’ils ne le sont pas ils peuvent se dessécher et mourir. D’où l’intérêt de comprendre pourquoi certains préfèrent rester sous un abri seul plutôt que d’explorer l’environnement à la recherche de congénères ».
Par ailleurs, le cafard « explorateur » a certes plus de chance de trouver de la nourriture en analysant son environnement en détail que le cafard « timide »qui court se réfugier mais il a également une probabilité plus élevée de se faire repérer et tuer par un prédateur.
Comme le choix d’un restaurant
Autre intérêt de ces travaux : mieux comprendre comment un individu est capable d’influencer le comportement de tout un groupe. Naturellement, les cafards s’agrègent, ils vont avoir tendance à s’arrêter sous un abri déjà occupé par un autre cafard et donc tendre vers une décision collective.
Les cafards « timides »affichent ainsi une sorte de leadership puisqu’ils vont attirer les cafards « explorateurs »sous leur abri. « C’est exactement le même principe que lorsqu’on cherche un restaurant : on va toujours avoir tendance à pousser la porte de celui où quelques tables sont occupées plutôt que celui qui est encore vide » compare Isaac Planas.
Suivre les timides et les explorateurs
Mettre le doigt sur deux traits de caractère des cafards n’est que le début d’une longue série de recherches. Cette découverte appelle d’autres travaux.
« Nous allons réaliser l’étude inverse, c’est à dire d’abord nous intéresser à la personnalité des individus et ensuite au comportement du groupe », explique le chercheur. Nous allons sélectionner des individus « timides » et « explorateur » et les regrouper afin d’analyser le comportement de groupes de cafards « timides » et de groupes de cafards « explorateurs ». Nous aimerions déterminer si les groupes de cafards « timides » sont capables de faire un choix collectif et de finir tous sous le même abri », conclut Isaac Planas.