Les insectes n’ont pas de prix! En ce qui concerne les pollinisateurs, le coût de leur disparition a par contre été chiffré. « Les abeilles sont essentielles à la fois pour les écosystèmes naturels et pour l’agriculture », indique l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). « En Europe, les services de pollinisation qu’ils rendent à l’agriculture sont estimés à 22 milliards d’euros par an ». Au niveau mondial, leur « travail » vaudrait quelque 153 milliards d’euros chaque année.
« Aujourd’hui, le problème des pollinisateurs concerne leur survie. Nous ne cessons de constater une diminution de leurs populations », indique le Dr Thomas Lecocq, du Laboratoire de Zoologie de l’Université de Mons. Avec le directeur de ce laboratoire, le Pr Pierre Rasmont, et son collègue, le Pr Denis Michez, le biologiste vient de participer à une vaste étude européenne sur le sujet.
9% au moins des abeilles sauvages sont menacées d’extinction
Dans le cadre du projet européen STEP (Status and Trends of European Pollinators) qui vient de se clôturer, les chercheurs montois ont cartographié des espèces d’abeilles en Europe et leur évolution au fil du temps. Ils ont aussi participé à l’élaboration de la liste rouge des espèces menacées. L’étude européenne visait à mesurer l’état de santé des populations de pollinisateurs en Europe, leur évolution, et les conséquences que les changements climatiques en cours pourraient avoir sur leurs populations et leur répartition.
Les résultats? L’étude montre que 9 % des abeilles sauvages sont aujourd’hui menacées d’extinction en Europe », explique le Dr Lecocq. « Et 5 % de plus sont considérés comme susceptibles d’être menacés de disparition dans un avenir proche. Mais cette étude montre aussi que ces résultats ne concernent que la moitié des populations d’abeilles en Europe. Pour le reste, nous manquons de données. Les risques d’extinction sont donc potentiellement nettement plus élevés ».
Le livre, « Climatic Risk and Distribution Atlas of European Bumblebees », librement accessible, a également été publié, voici quelques semaines, par les chercheurs du programme STEP. Il concerne les bourdons , une des spécialités du Laboratoire de Zoologie montois.
On estime que 90% des plantes ont besoin des abeilles pour être pollinisées », reprend le Dr Lecocq. « Dans certaines régions, ce travail ne peut être réalisé que par des bourdons. C’est le cas dans la moitié Nord de l’Europe. Ce qui englobe en partie la Belgique, ou encore les régions montagneuses ».
Le « buzzing » du bourdon : irremplaçable !
La situation des bourdons en Belgique est loin d’être enviable. On dénombrait chez nous une trentaine d’espèces dans les années 1950. Aujourd’hui, selon les régions, elles ne sont plus qu’une dizaine, au mieux.
« La situation n’est pas rassurante », estime le scientifique. Notamment parce que le bourdon ne peut pas être remplacé par d’autres pollinisateurs. « À cause de sa capacité à « vibrer », à faire du « buzzing ». Ces vibrations dopent sa capacité à polliniser certaines plantes qui sans cela ne pourraient se reproduire. Remplacer les bourdons par une multiplication de ruches par exemple n’a pas de sens dans ce contexte ».
Quelles sont les causes réelles du déclin des abeilles et des bourdons chez nous? Il y a les pratiques agricoles, l’agriculture intensive, l’urbanisation… Le programme de recherche européen STEP pointe également les changements climatiques.
« Pour la plupart des espèces d’abeilles, et en particulier les bourdons, les fortes pluies, les épisodes de sécheresses, les vagues de chaleur et l’augmentation des températures peuvent altérer leurs habitats, voire les faire disparaitre », indique le rapport européen. « 25,8% des espèces de bourdons d’Europe sont menacées d’extinction ».
BELBEES, un nouvelle étude belge
Au niveau de la seule Belgique, la faune actuelle de bourdon devrait être complètement remplacée par des espèces méridionales (de Grèce, en l’occurrence), explique l’Université de Mons. Dans presque toutes les plaines et les alentours de toutes les capitales d’Europe Occidentale, depuis Madrid jusqu’à Stockholm, la faune de bourdons devrait se réduire à 2-3 espèces au maximum. C’est un problème pour la biodiversité.
Le Dr Thomas Lecocq va, avec ses collègues des universités de Namur, de Liège et de Gand ainsi qu’avec le concours de l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique, tenter d’affiner les connaissances à ce sujet, dans le cadre d’un nouveau programme de recherche spécifiquement belge: « Belbees ». Ils vont rassembler et analyser les données sur les changements récents des populations d’abeilles sauvages, mesurer les rôles respectifs des différentes hypothèses sur leur déclin et ce afin d’identifier les pistes d’actions pour les autorités publiques.
Ce nouveau programme de recherche est financé par la Politique Scientifique fédérale dans le cadre de son programme BRAIN.