Des tableaux de Rubens ou de Brueghel qui noircissent, des Van Gogh ou des Ensor qui voient leur couleur jaune se faner au point de disparaître ou encore des sculptures en bois écarlates de la Tour Japonaise à Bruxelles qui s’assombrissent… Notre patrimoine culturel vieillit parfois très mal.
Des œuvres victimes de l’environnement
« La conservation de ce patrimoine n’est pas une chose aisée », confirme le Pr Koen Janssens, responsable du service de chimie analytique de l’Université d’Anvers.
« Pour les œuvres peintes, certains pigments subissent l’action de composés présents dans l’atmosphère ou tout simplement celle des cycles de lumière, de chaleur et d’humidité de l’air au fil des mois et des saisons. La densité de sel dans l’air joue ainsi un rôle important dans la dégradation des pigments des oeuvres colorées. Un même tableau conservé à Ostende risque ainsi de souffrir davantage que s’il était exposé à Liège par exemple », note le scientifique, qui pointe ici l’influence que l’air marin, plus chargé en sel, peut avoir sur les pigments des peintures.
La recherche fondamentale à la rescousse
Les partenaires du projet S2-ART (Rôle et évolution des sulfures métalliques dans les peintures) , un des nombreux projets de recherche soutenus par la Politique Scientifique fédérale (BELSPO) dans le cadre de son programme de recherche pour un développement durable (SSD- Science for a sustainable development), ont mis leurs expertises respectives en commun afin de cerner au mieux les mécanismes physico-chimiques qui affectent les oeuvres picturales ou les bois peints. Leurs travaux visent plus particulièrement à identifier les réactions en jeu au sein de divers pigments à base de sulfure.
« Nous travaillons notamment sur le sulfure de mercure, qui est à la base du vermillon, et le sulfure de cadmium à l’origine du “jaune de cadmium” », reprend le Pr Janssens, qui coordonne le projet S2-ART.
« Suite à diverses cascades de réactions chimiques, le vermillon noircit. On observe ainsi dans des tableaux de Pierre Brueghel le Jeune, qui ont fait l’objet de plusieurs copies à cette époque, des dégradations plus importantes dans certaines oeuvres tandis que d’autres semblent moins souffrir. Cela nous fait penser que les conditions de conservation différentes de chacune de ces oeuvres ont joué un rôle important dans ces processus ».
Etude au synchrotron européen de Grenoble
“Il n’y a aucune raison de penser que les pigments utilisés dans ces copies aient fait l’objet de traitements différents dans l’atelier du peintre. C’est donc bien une question de conditions de conservation qui joue ici ».
Pour comprendre comment et pourquoi ces changements interviennent, le chercheur compte sur les techniques disponibles dans son service mais également sur des analyses à réaliser au synchrotron européen de Grenoble (ESRF). Il s’agit de la machine à rayons X la plus puissante du genre en Europe. Elle permet d’observer des détails de l’ordre de deux à trois microns dans des échantillons microscopiques de peinture.
Monitoring atmosphérique
Un autre partenaire du projet, le Dr David Strivay et son équipe du Centre européen d’archéométrie de l’Université de Liège (ULg), étudie pour sa part la qualité de l’air dans et à proximité de divers musées du pays. Cette caractérisation des aérosols devrait également permettre de mieux cerner les agents susceptibles de dégrader précocement les œuvres et donc, d’imaginer les conditions de conservation les plus adaptées.
Enfin, l’Institut Royal du Patrimoine artistique (IRPA) apporte son expertise en matière de caractérisation spectrale des échantillons de peinture.
Le but ultime de ces recherches ?
« Formuler des recommandations précises en ce qui concerne la conservation de ces oeuvres d’art dans des musées par exemple », indique le Pr Janssens. « Notamment en ce qui concerne la qualité de l’air, la température, la limitation des ultra-violets, l’humidité. Des recommandations qui devraient permettre de ralentir la dégradation du patrimoine culturel en Belgique mais aussi ailleurs dans le monde, où des problèmes identiques se posent ».
Le programme fédéral « La Science pour un développement durable »
Le projet S2-ART fait partie du vaste programme de recherche lancé par BELSPO et baptisé SSD, soit « La Science pour un développement durable ».
Le projet S2-ART a débuté le 1 mai 2012. Sa clôture est programmée pour le 30 avril 2016. Il comprend deux autres partenaires scientifiques : le Centre européen d’archéométrie de l’ULg et l’IRPA.
SSD est un programme dont le premier appel à projets à été lancé en 2005. Il s’articulait autour de huit thématiques. S2-ART entre dans la thématique liée aux « risques ». Le programme SSD comprenait aussi les thématiques « Energie », « Transport et mobilité », « Agro-alimentaire », « Santé et environnement », « Climat », « Biodiversité » et « Atmosphère et écosystème terrestres et marins ».
Un rapport général sur ce programme, destiné au public le plus large et en libre accès, vient de sortir de presse. Il met en lumière certains projets de recherches issus de ces thématiques.