Avant de parcourir 2.200 km pour arriver dans nos assiettes, les tomates espagnoles utilisent les ressources en eau douce de sierras ou d’usines de désalinisation énergivores. Pêchées en mer du Nord, les crevettes grises qui les farcissent ont été décortiquées au Maroc. Les crevettes roses? Elles parcourent 14.000 km après avoir été élevées intensivement dans la baie d’Halong, riche en nutriments des eaux usées de villages vietnamiens…
«Chaque jour, par ma consommation, je mets un pied dans les jardins des cinq continents», constate Éric Lambin , professeur au département de géographie de l’Université Catholique de Louvain (UCL) et aux études interdisciplinaires de l’environnement à la Stanford University en Californie, dans «Le consommateur planétaire» aux éditions Le Pommier.
«Même en renonçant aux tomates, crevettes, smartphones et autres biens de luxe, je ne pourrais pas éviter que ma consommation projette son ombre sur la planète entière.»
Le pouvoir du citoyen-consommateur
Vêtements confectionnés pour un salaire dérisoire par des petites mains qui risquent leur vie à l’autre bout de la planète. Chaussures en cuir de vaches élevées dans des pâturages brésiliens responsables de la déforestation de l’Amazonie. Utilisation de biocarburants aux dépens de forêts, de cultures alimentaires. Délocalisation d’activités industrielles polluantes et expédition de déchets électroniques vers des pays pauvres pour échapper à une législation environnementale contraignante…
Que faudrait-il faire pour contrecarrer les maux sociaux et environnementaux engendrés par la mondialisation?
«D’abord reconnaître que, avec la mondialisation récente, le pouvoir a en partie changé de mains. Les gouvernements nationaux ont perdu beaucoup de leur capacité à influencer le cours des événements par des politiques, au profit des grandes entreprises multinationales et de la société civile, représentée par les grandes organisations non gouvernementales internationales, les ONG.»
«Ce transfert partiel de pouvoir a octroyé de nouveaux pouvoirs aux citoyens. Les citoyens-électeurs peuvent influencer les grandes orientations des pouvoirs publics grâce aux élections. Les citoyens-consommateurs exercent leur pouvoir de manière quotidienne, par leurs multiples décisions de consommations qui influencent les stratégies des entreprises privées. Acheter un café écocertifié ou labellisé commerce équitable. Boycotter une marque qui a été épinglée pour ses pratiques environnementales ou sociales abusives revient à envoyer un signal fort aux acteurs de l’économie.»
Les médias… «Ils sont également un acteur clé pour diffuser largement l’information qui est la pièce centrale du grand jeu de la transition vers un développement durable. La thèse résolument optimiste que je défends est que nous sommes à l’aube d’une prise de pouvoir du consommateur planétaire responsable.”
Difficile d’être écovertueux!
Ce n’est pas toujours facile d’intégrer les conséquences environnementales d’un mode de consommation. La déforestation, qui contribue à des émissions de carbone dans l’atmosphère, se cache derrière des meubles en bois importés d’Indonésie. Ou derrière le bétail européen ingurgitant du tourteau d’un champ de soja situé sur une parcelle occupée précédemment par un pâturage empiétant sur une forêt d’Amérique du Sud.
La production de biens d’exportation pollue l’air en Chine et provoque des maladies respiratoires chez des Californiens en traversant l’océan Pacifique. Des roses du Kenya, exportées en Europe par avion, affichent un bilan carbone total plus favorable que des roses cultivées sous serres énergivores aux Pays-Bas. L’achat d’une voiture hybride incite à l’utiliser sur de plus longues distances. Ou de profiter de l’argent économisé pour se rendre en avion dans un pays lointain. Ce qui occasionne aussi une consommation élevée de carburant.
Dans «Le consommateur planétaire», le lauréat du «Nobel» de l’Environnement 2014 explore les bienfaits et les dégâts de la mondialisation. Donne des clés pour comprendre les enjeux des choix de consommation. Pour prendre des décisions qui permettent de vivre de manière plus équitable. En garantissant les conditions d’un développement durable.