Les découvertes de la psycholinguistique et des neurosciences permettent d’établir les principes de base de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Le psycholinguiste José Morais explique comment exploiter concrètement la science de la lecture dans «Lire, écrire et être libre» aux éditions Odile Jacob . Le professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) centre son livre sur l’interrelation littératie-démocratie.
Littératie… Ce mot est utilisé couramment au Québec, en Suisse francophone et est retenu par l’OCDE, l’Organisation de Coopération et de Développement Économique. Un cran plus haut qu’alphabétisme, il présuppose de pouvoir utiliser des habiletés de lecture et d’écriture dans des activités d’acquisition, de transmission et de connaissance.
«Globalement, la littératie reste à des niveaux élémentaires pour la majorité des individus», dénonce l’ancien combattant pour la démocratie au Portugal de Salazar.
«Beaucoup d’enfants et d’adolescents abandonnent l’école en étant illettrés ou sous-lettrés. Les systèmes d’éducation se bipolarisent de plus en plus. D’un côté, ils garantissent la reproduction d’élites ambitieuses et ultra-efficaces. De l’autre, ils remplissent le marché du travail de prolétaires intellectuels et d’exécutants qui, les uns comme les autres, se voient concurrencés par des robots humanoïdes.»
La lecture partagée dope le vocabulaire
L’enfant de 8 mois porte déjà son attention sur la version papier ou numérique du livre qu’un de ses parents lui lit. Il associe objets, personnages et actions avec les mots qui les désignent. Il s’enrichit de mots nouveaux, de nouvelles constructions de phrases en écoutant une langue plus complexe que celle de la communication orale habituelle.
«Pour l’enfant, la lecture partagée est un jeu et un éveilleur de sa curiosité pour la langue et pour les réalités dont la mère lui parle. Il est donc très important qu’au cours de leurs interactions la mère soit attentive aux intérêts manifestés par son enfant.»
«Dans une étude suédoise sur plus de 1.000 enfants âgés d’environ 18 mois, ceux qui participaient six fois par semaine à des épisodes de lecture partagée avaient un vocabulaire et un langage expressif d’un tiers plus riches que la moyenne. Il y a avantage que la lecture partagée ait lieu le soir et qu’après l’enfant puisse dormir tranquillement. Pendant le sommeil ont lieu la consolidation des souvenirs et l’apprentissage. La non-généralisation de cette forme de prélecture à tous les enfants est une source potentielle d’inégalité.»
À partir de 3 ans, la lecture partagée, dialoguée avec l’adulte, se porte de plus en plus sur les mots écrits, les lettres, les mots parlés, les syllabes, les segments phoniques. S’appuyant sur des données scientifiques, le chercheur de l’Unité de Neurosciences Cognitives de l’ULB (UNESCOG) préconise un apprentissage progressif et systématique de la lecture basé sur les phonèmes représentés par des lettres ou groupes de lettres, les graphèmes.
«La conception phonique cherche à révéler à tous les élèves les clés de l’alphabet et du code orthographique de la langue écrite. À faire de sorte qu’ils maîtrisent ce code. Alors que les méthodes globales poussent les enfants de milieu social désavantagé vers le bas comparés aux enfants de milieux favorisés. Les méthodes phoniques les tirent vers le haut.»
Lire des textes scientifiques à 8 ans
La lecture de textes scientifiques devrait commencer dès 8 ans en recherchant des informations.
«Au cours de ces activités, il faut que les élèves apprennent, par exemple, à distinguer, dans ce qui est accessible via Internet, entre ce qui est fiable et ce qui ne l’est pas. Il faut que les élèves comprennent la nécessité de se méfier des connaissances pseudo-scientifiques.»
Le livre confronte la démocratie aux pseudo-démocraties…
«Pour construire la démocratie, il faut que tous nous devenions lettrés. Et pour devenir des lettrés dans notre système d’écriture, l’alphabet, il faut améliorer profondément le système d’alphabétisation. Mon livre a pour objectif majeur de montrer que les capacités de lire et d’écrire, ayant déjà contribué à changer profondément l’être humain, son mode de vie et ses moyens d’action, peuvent, si elles sont universalisées, conduire à un nouveau changement historique. L’avènement d’une société véritablement démocratique.»
La lecture commence au berceau
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes