Cécile Pujol, doctorante au sein du laboratoire GeoHydrodynamics and Environment Research (GHER) de l'ULiège, étudie les canicules marines en mer de Chiloé © Cécile Pujol

Coup de chaud sur l’aquaculture de saumons

2 septembre 2024
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

Série : Sea, research & sun (4/6)

A l’autre bout de la planète, les canicules marines n’épargnent pas la mer de Chiloé. Adossée à la Patagonie chilienne, maintenue à distance de l’océan Pacifique par un chapelet d’îles, cette mer étroite est au centre de l’intérêt de Cécile Pujol. Doctorante au sein du laboratoire GeoHydrodynamics and Environment Research (GHER) de l’ULiège, elle cherche à comprendre comment se développent les vagues de chaleur marines dans un milieu côtier de type fjord et semi-fermé. Et quelles en sont les conséquences.

A petite échelle

Plantons le décor : qu’entend-on par vague de chaleur marine ? « Il s’agit d’un événement caractérisé par une température de l’eau anormalement élevée. Cela signifie le dépassement d’un seuil durant au moins 5 jours, sans qu’il y ait une température moindre plus de 2 jours consécutifs.»

Ce domaine de la physique marine est resté peu étudié jusqu’en 2015. Depuis, de nombreux chercheurs analysent les vagues de chaleur à l’échelle d’un bassin, comme celui de la Méditerranée, ou d’un océan. « Dans le cadre de ma thèse, commencée il y a 3 ans, je les étudie à bien plus petite échelle, en milieu côtier. »

Cécile Pujol sur un bateau en mer de Chiloé (Chili) © Cécile Pujol

Création d’un référentiel

Et la tâche est loin d’être facile. Première étape, élaborer une température de référence à laquelle on pourra, par la suite, comparer les mesures ponctuelles.
Pour construire cette valeur, il est communément admis qu’il faut se baser sur au minimum 30 années de données. « J’ai utilisé de multiples mesures issues du terrain et obtenues via différents instruments. »

«  Les premières campagnes en mer de Chiloé ont été faites dans les années 50. Elles se sont ensuite intensifiées dans les années 90, et ont lieu périodiquement désormais. »

A bord des bateaux, des instruments océanographiques permettent de mesurer non seulement la température, mais aussi la salinité, la pression, la chlorophylle, la concentration d’oxygène. Ces instruments appelés CTD – pour Conductivity Temperature Depth – estiment les paramètres de surface, mais également de toute la colonne d’eau.

« Ils ont la forme de grosses bouteilles et sont reliés par une chaîne au bateau. Une fois plongés dans l’eau, ils descendent presque jusqu’au sol marin. Tout au long de leur trajet, leurs capteurs mesurent différents paramètres physico-chimiques, dont la température », explique Cécile Pujol.

Quid des données satellitaires ? Les satellites environnementaux ne font partie que de l’histoire récente. Et cela fait encore moins de temps qu’ils sont dotés d’une suffisamment haute résolution pour pouvoir observer les vagues de chaleur dans la mer de Chiloé. « L’étroitesse de sa zone côtière a longtemps rendu complexe, voire impossible, la mesure satellitaire de la température des eaux de surface. »

Fréquence d’apparition moyenne des vagues de chaleur au cours des 20 dernières années en mer de Chiloé © Cécile Pujol

Variations locales

Aujourd’hui, la précision est de l’ordre de quelques dizaines de mètres. «Les données satellites actuelles me servent à détecter les vagues de chaleur contemporaines, que je compare à la moyenne construite grâce aux données de terrain. »

« Lors de la réalisation de mon mémoire de master en océanographie, j’avais étudié les vagues de chaleur au large du Chili, dans le Pacifique. J’en avais identifié une très importante en 2016. Dans le cadre de ma thèse, j’ai pu voir que celle-ci était également présente dans la mer de Chiloé. D’autres vagues de chaleur de forte intensité s’y sont produites au cours des dix dernières années. »

« Mes recherches montrent que l’ensemble de la mer de Chiloé n’est pas affectée de la même manière par les vagues de chaleur. A certains endroits, elles sont plus intenses et plus fréquentes.» Comment l’expliquer ? « Pour le moment, je n’ai qu’une hypothèse :  je pense que cela est dû à la circulation des eaux qui est davantage limitée dans les fjords et les golfes. Le refroidissement par les eaux venues de l’océan Pacifique y serait donc moindre. »

Bouée océanographique dont la maintenance est confiée au centre de recherche i~mar avec lequel Cécile Pujol. « Cette bouée sert à mesurer la température de l’eau, la salinité, la concentration en oxygène dissous, la fluorescence, la turbidité, le pH, la température de l’air, la pression atmosphérique, l’humidité, la direction et la vitesse du vent. Elle se trouve dans le Seno Reloncaví (extrême nord de la Patagonie). J’ai utilisé les données qu’elle fournit pour pouvoir faire mon travail (en plus de nombreux autres instruments) », explique la chercheuse © Cécile Pujol

L’aquaculture en péril

La mer de Chiloé, en plus d’être tenue à l’écart de l’océan Pacifique par un mur d’îles, a une autre caractéristique originale : elle est bordée par de nombreux fjords dans lesquels vient s’achever la course de fleuves. Cette situation en eau de mer aux portes de l’eau douce est propice à l’aquaculture du saumon. « Le Chili est le deuxième exportateur mondial de saumon, et celui-ci est à 90 % élevé en mer de Chiloé. »

« Les vagues de chaleur menacent l’économie locale. En effet, les saumons apprécient les eaux froides. Le réchauffement de leur milieu ne leur plaît pas. En parallèle, ces dernières années, on constate le développement d’efflorescences algales. Certaines sont toxiques et tuent différents organismes, dont les saumons et parfois en très grand nombre. Il est important de déterminer si ce développement algal est lié aux vagues de chaleur. »

Plus la température de l’eau de surface augmente, moins l’oxygène atmosphérique parvient à s’y dissoudre. « Les fjords sont, par nature, propices à la désoxygénation, avec des niveaux d’oxygène dissous très faibles. J’aimerais investiguer ce pan et voir si ce phénomène est empiré lors des vagues de chaleur. »

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