A cause du réchauffement climatique, la glace de mer de l’Arctique est vouée à disparaître dans les prochaines années. Outre l’extinction dramatique de la biodiversité propre à la banquise (béluga, ours blanc, morue polaire, entre autres), des perturbations des cycles biogéochimiques sont à redouter. Elles ont fait l’objet d’une étude menée par une équipe internationale de chercheurs dénommée BEPSII (pour Processus d’échange biogéochimique aux interfaces mer-glace ). Ces scientifiques plaident pour que les données concernant la fonte de la banquise soient enfin incluses dans les modèles de prédiction climatique.
BEPSII, c’est plus de 30 chercheurs de Belgique dont Dr Bruno Delille (FOCUS – ULiège) ainsi que Pr François Fripiat et Pr Jean-Louis Tison (Géosciences, Environnement et Société – ULB), de Finlande, des Pays-Bas, de Norvège, d’Allemagne, du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni, du Japon, de France et d’Afrique du Sud.
La pompe de carbone biologique mise en péril
« Concernant le CO2, nous ne sommes pas arrivés à une conclusion claire. Malgré les 18 années d’études menées en Belgique sur ce sujet, le rôle exact de la banquise vis-à-vis de ce gaz à effet de serre n’est pas assez bien connu. On ne peut pas prédire si, du fait de la diminution de la glace de mer, l’océan Arctique va devenir un puits de carbone plus important ou moins important », explique Bruno Dellile, biogéochimiste et chercheur qualifié FNRS.
« Toutefois, il devient assez clair que l’efficacité de la pompe de carbone biologique va diminuer. » Ce mécanisme est un élément majeur du cycle du carbone et participe à la séquestration du CO2. Il est composé d’une série de processus biologiques (organismes morts, excréments, particules de matières, etc.) par lesquels du CO2 de surface est transporté vers les profondeurs océanes. Le carbone atteignant le fond peut être sous forme organique ou sous forme inorganique comme le carbonate de calcium (CaCO3), composé essentiel des organismes calcifiés tels les foraminifères.
La banquise, un bouclier contre les flux de méthane du permafrost sous-marin
Concernant les rejets de méthane, ils seront à la hausse avec la fonte de la banquise. Cela ne fait l’ombre d’aucun doute.
A la problématique du permafrost continental qui relargue, sous l’effet du réchauffement provoquant son dégel, le méthane emprisonné dans le sol depuis des centaines d’années, s’ajoute celle du permafrost sous-marin.
« De grandes quantités de méthane sont stockées sous l’océan Arctique sous forme d’hydrates de méthane », explique Bruno Delille. « Avec le réchauffement, on appréhende que ce méthane soit libéré dans la colonne d’eau. » Et finalement dans l’atmosphère.
En effet, la banquise forme une couche qui bloque les flux de méthane dans la colonne d’eau. Cela permet à des bactéries méthanotrophes de consommer ce méthane et de le transformer en CO2, soit un gaz à effet de serre avec un effet radiatif 14 fois moindre. Autrement dit, le méthane est alors transformé en un gaz à effet de serre 14 fois moins puissant en termes de réchauffement climatique.
« Or, avec la fonte de la banquise, ce rôle de conversion du méthane en CO2 va disparaître. Et le relargage du méthane dans l’atmosphère va accélérer l’accroissement de la température. »
Davantage de nuages
Une petite lueur dans ce sombre tableau. Avec la fonte de la banquise, les émissions de DMS (diméthylsurfure) vont augmenter. Ce gaz climatique a tendance à refroidir l’atmosphère.
« Il s’oxyde dans l’atmosphère, crée de petites particules qui jouent le rôle de noyaux de condensation à partir desquels se forment les nuages. L’albédo augmente et davantage de radiations solaires sont alors réfléchies vers l’espace », poursuit le docteur Delille.
Des modèles trop optimistes
Dans leur publication scientifique commune, les chercheurs notent que « le manque actuel d’inclusion des processus biogéochimiques associés à la glace de mer dans les modèles climatiques est préoccupant. »
En effet, la glace de mer ,avec ses propriétés physiques et biologiques particulières, n’est actuellement pas prise en compte dans les modèles climatiques.
« Or, cette absence d’inclusion peut très bien nous donner une vision tronquée et édulcorée d’un avenir pourtant déjà sombre », conclut le groupe de chercheurs.