Station de recherche sur la banquise de l'océan Arctique, au large de Barrow, en Alaska © Bruno Delille

Effet domino de la disparition de la banquise arctique

3 novembre 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

A cause du réchauffement climatique, la glace de mer de l’Arctique est vouée à disparaître dans les prochaines années. Outre l’extinction dramatique de la biodiversité propre à la banquise (béluga, ours blanc, morue polaire, entre autres), des perturbations des cycles biogéochimiques sont à redouter. Elles ont fait l’objet d’une étude menée par une équipe internationale de chercheurs dénommée BEPSII (pour Processus d’échange biogéochimique aux interfaces mer-glace ). Ces scientifiques plaident pour que les données concernant la fonte de la banquise soient enfin incluses dans les modèles de prédiction climatique.

BEPSII, c’est plus de 30 chercheurs de Belgique dont Dr Bruno Delille (FOCUS – ULiège) ainsi que Pr François Fripiat et Pr Jean-Louis Tison (Géosciences, Environnement et Société – ULB), de Finlande, des Pays-Bas, de Norvège, d’Allemagne, du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni, du Japon, de France et d’Afrique du Sud.

La pompe de carbone biologique mise en péril

« Concernant le CO2, nous ne sommes pas arrivés à une conclusion claire. Malgré les 18 années d’études menées en Belgique sur ce sujet, le rôle exact de la banquise vis-à-vis de ce gaz à effet de serre n’est pas assez bien connu. On ne peut pas prédire si, du fait de la diminution de la glace de mer, l’océan Arctique va devenir un puits de carbone plus important ou moins important », explique Bruno Dellile, biogéochimiste et chercheur qualifié FNRS.

« Toutefois, il devient assez clair que l’efficacité de la pompe de carbone biologique va diminuer. » Ce mécanisme est un élément majeur du cycle du carbone et participe à la séquestration du CO2. Il est composé d’une série de processus biologiques (organismes morts, excréments, particules de matières, etc.) par lesquels du CO2 de surface est transporté vers les profondeurs océanes. Le carbone atteignant le fond peut être sous forme organique ou sous forme inorganique comme le carbonate de calcium (CaCO3), composé essentiel des organismes calcifiés tels les foraminifères.

Dr Bruno Delille réalisant des prélèvements sur la banquise au large de Barrow, en Alaska © Bruno Delille
Banquise de l’océan Arctique © Bruno Delille

La banquise, un bouclier contre les flux de méthane du permafrost sous-marin

Concernant les rejets de méthane, ils seront à la hausse avec la fonte de la banquise. Cela ne fait l’ombre d’aucun doute.

A la problématique du permafrost continental qui relargue, sous l’effet du réchauffement provoquant son dégel, le méthane emprisonné dans le sol depuis des centaines d’années, s’ajoute celle du permafrost sous-marin.

« De grandes quantités de méthane sont stockées sous l’océan Arctique sous forme d’hydrates de méthane », explique Bruno Delille. « Avec le réchauffement, on appréhende que ce méthane soit libéré dans la colonne d’eau. » Et finalement dans l’atmosphère.

En effet, la banquise forme une couche qui bloque les flux de méthane dans la colonne d’eau. Cela permet à des bactéries méthanotrophes de consommer ce méthane et de le transformer en CO2, soit un gaz à effet de serre avec un effet radiatif 14 fois moindre. Autrement dit, le méthane est alors transformé en un gaz à effet de serre 14 fois moins puissant en termes de réchauffement climatique.

« Or, avec la fonte de la banquise, ce rôle de conversion du méthane en CO2 va disparaître. Et le relargage du méthane dans l’atmosphère va accélérer l’accroissement de la température. »

Davantage de nuages

Une petite lueur dans ce sombre tableau. Avec la fonte de la banquise, les émissions de DMS (diméthylsurfure) vont augmenter. Ce gaz climatique a tendance à refroidir l’atmosphère.

« Il s’oxyde dans l’atmosphère, crée de petites particules qui jouent le rôle de noyaux de condensation à partir desquels se forment les nuages. L’albédo augmente et davantage de radiations solaires sont alors réfléchies vers l’espace », poursuit le docteur Delille.

Des modèles trop optimistes

Dans leur publication scientifique commune, les chercheurs notent que « le manque actuel d’inclusion des processus biogéochimiques associés à la glace de mer dans les modèles climatiques est préoccupant. »

En effet, la glace de mer ,avec ses propriétés physiques et biologiques particulières, n’est actuellement pas prise en compte dans les modèles climatiques.

« Or, cette absence d’inclusion peut très bien nous donner une vision tronquée et édulcorée d’un avenir pourtant déjà sombre », conclut le groupe de chercheurs.

Schéma des processus biogéochimiques saisonniers de la glace de mer dans l’océan Arctique. Les flèches noires représentent la directionnalité des échanges biogéochimiques. Les lignes pointillées illustrent des gradients diffusifs, tels que celui du carbone inorganique dissous (DIC). Les flèches jaunes indiquent le rayonnement solaire. Les communautés de micro-algues pélagiques et associées à la glace ainsi que leurs brouteurs sont représentés par des ombres et des symboles orange. La pompe biologique de carbone relie les processus d’échange de carbone en surface à la séquestration en profondeur par l’exportation de carbone organique particulaire (POC) et de carbone organique dissous (DOC). Les processus de surface ont également un impact sur les gaz actifs pour le climat, tels que le DMS et le CH4, ainsi que sur les composés organiques volatils (VOC), qui peuvent contribuer à la formation de noyaux de condensation nuageuse (CCN) – schéma et légende tirés de «The future of Arctic sea-ice biogeochemistry and ice-associated ecosystem », Lannuzel D. et al. © Nature Climate Change

 

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