Faut-il demander aux touristes de s’en aller ? Cette question, a priori choquante, fut développée lors de la 8e édition de l’ATMC (Advances in Tourism Marketing Conference) organisée par le Centre de recherche sur la consommation et les loisirs (NADI-CeRCLe) de l’Université de Namur. Ces dernières années, le tourisme a augmenté de 4 à 7 % par an.
« En 2018, le chiffre record de 1,4 milliard de touristes au niveau mondial a été atteint. Avec deux ans d’avance. En effet, selon une projection scientifique et très prudente réalisée par l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), cette abondance était prévue pour l’horizon 2020 », explique Alain Decrop, professeur de marketing à l’UNamur et directeur du CeRCLe.
La classe moyenne des BRIC prise de la folie voyageuse
Ce comptage est établi en recensant officiellement les arrivées de touristes internationaux. S’il est impressionnant, ce chiffre de 1,4 milliard de touristes par an est pourtant minimaliste par rapport à toute l’activité touristique mondiale.
Au Brésil, en Russie, en Inde et en Chine, ces pays au développement économique récent connus sous l’acronyme BRIC, la classe moyenne s’est fortement accrue. Elle est avide de voyager. C’est elle qui constitue la majorité des nouveaux touristes qui visitent l’Europe, l‘Asie du Sud-Est et le continent américain. Souvent au pas de course. Au grand dam des acteurs économiques des cités visitées.
Surfréquentation touristique et nuisances
Certaines sont frappées d’overtourism. C’est-à-dire de surfréquentation touristique. C’est le cas de Venise, de Barcelone, mais aussi de Bruges.
La Venise du Nord a souffert d’une fréquentation record de plus de 8,5 millions de touristes en 2018, soit 70 touristes par habitant. C’est 900.000 de plus qu’en 2017. « C’est l’équivalent de deux tiers de la fréquentation touristique totale de la Wallonie, dont les attractions touristiques comptabilisent 12 millions de touristes par an », précise le Pr Decrop.
Sur ces huit millions de touristes, plus de 6 millions ne sont restés dans la ville qu’entre une heure et trois heures.
Les nuisances sonores, les déchets jetés à même le sol et la mobilité escargot causés par ce tourisme de masse affectent les riverains. Ils poussent leurs autorités publiques à prendre des mesures afin de limiter les flux de touristes.
Limiter le nombre de bateaux de croisière
Tout comme Venise, Drubrovnik et d’autres villes touristiques dotées d’un port de croisière, Bruges entend limiter le nombre d’arrivées maritimes de touristes d’un jour. Débarqués par des paquebots de croisière gigantesques, ils séjournent trois ou quatre heures sur place, avec très peu de retombées économiques pour les opérateurs touristiques locaux.
« Bruges se trouvait soudainement engorgée par ce flux de touristes qui ne restaient pas longtemps et donc ne dépensaient pas beaucoup d’argent », explique Pr Decrop. « Les autorités publiques et communales visent aujourd’hui un modèle de tourisme de qualité et non pas de quantité. C’est pourquoi seuls deux paquebots de croisière par jour ont désormais l’autorisation de s’arrêter à Zeebruges. Ces bateaux étant de plus en plus gros, ils déversent quotidiennement jusqu’à 5000 touristes. »
Sur l’île grecque de Santorin, 8000 croisiéristes, pas un touriste de plus, ont désormais l’autorisation de débarquer chaque jour. Jusqu’en 2017, cette île de la mer Egée, habitée à l’année par 13.000 personnes, était littéralement asphyxiée par 2 millions de touristes par an.
Ne plus promouvoir sa cité dans son propre pays
Amsterdam, noyée sous 18 millions de touristes par an, a décidé de faire du dé-marketing. Bruges également.
Jadis, la Venise du Nord faisait des campagnes de publicité à Bruxelles, à Anvers et à Liège . Désormais, elle n’en fait plus du tout, espérant diminuer le nombre de touristes belges d’un jour, eux aussi économiquement peu rentables.
«Aux yeux des autorités brugeoises, le touriste belge n’est pas intéressant : il ne vient que pour une journée, souvent avec son pique-nique. Il ne dépense ni dans l’hôtellerie ni dans l’Horeca. »
Venise, ville martyre du tourisme de masse
Pour passer une journée ou quelques heures à Venise, il faut désormais se délester de 3 à 10 euros, en fonction de la saison touristique. Le montant pour la basse saison devrait doubler à 6 euros dès l’an prochain.
Le maire de la Cité des Doges vise à ce que, dès 2022, les touristes soient obligés de réserver leurs attractions touristiques au même titre que leur logement dans la ville. Il deviendra plus compliqué de visiter Venise en flânant simplement le long des canaux.
Alors que la ville compte 55.000 habitants, 30 millions de touristes déferlent par an. Avec un ratio de 545 touristes pour un habitant, Venise est la ville la plus impactée par le tourisme de masse.
La valse des quotas
Pour faire fuir les touristes, les quotas ont tendance à se généraliser dans les musées et les attractions touristiques saturées.
Par jour, seules 2000 personnes peuvent visiter le palais de l‘Alhambra à Grenade. Lorsque ce nombre est atteint, plus aucun ticket n’est émis. C’est aussi le cas des grottes de Lascaux, du parc croate de Plitvice et du Machu Picchu.
« Un nombre maximum de touristes est accepté par jour pour éviter la dégradation des ressources naturelles ou du patrimoine culturel », poursuit le Pr Decrop.
La liberté de voyager a du plomb dans l’aile
De telles mesures poussent les touristes à planifier leur séjour. « Alors que le tourisme est synonyme d’évasion, de liberté et de découverte, désormais, la première chose à faire pour visiter certains sites, c’est de se contraindre à un horaire bien précis, déterminé parfois des mois l’avance. C’est paradoxal», conclut le Pr De Crop.