Train sur la ligne Pékin-Hankou © Archives Jean Jadot

Pékin-Hankou, la ligne belge d’Extrême-Orient 

7 juillet 2021
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 7 min

Série (1/3) : « Devoirs de vacances » (Partie 1)

Cet été, Daily Science vous propose des découvertes hors des sentiers battus. Sciences, techniques ou encore environnement et histoire sont au rendez-vous.

125 gares, 1200 kilomètres de rails et plus de 2.400 ponts… construits en sept ans!  C’est dans une page d’histoire industrielle belge surprenante et méconnue que nous plonge pour quelques mois le musée du chemin de fer (Train World). Sa nouvelle exposition temporaire, « De Pékin à Hankou », retrace une saga économico-industrielle où Jean Jadot, un ingénieur originaire d’On (Jemelle), en province de Luxembourg, a joué un rôle-clé. À 37 ans, il a pris la direction de la construction de la ligne de chemin de fer Pékin – Hankou, l’actuelle ville de Wuhan.

« C’est une aventure unique, un peu oubliée, que nous voulions remettre en avant », confie le dessinateur François Schuiten, commissaire de l’exposition. « Nous voulions aussi raconter l’histoire de Jean Jadot, ce jeune ingénieur belge, plongé dans la Chine de la fin du 19e siècle et qui se retrouve chargé d’un chantier titanesque. Une mission au cours de laquelle il s’est retrouvé confronté à la guerre des Boxers, à des potentats locaux et à des défis techniques immenses. Une histoire qui se déroule à un moment charnière de l’histoire de ce pays où on ne se déplaçait qu’à pied, en chaise à porteurs ou à dos de chameau. Autant d’habitudes qui vont être bouleversées par l’arrivée du chemin de fer.»

Pont sur la ligne ferroviaire Pékin -Hankou © Archives Jean Jadot – Cliquez pour agrandir

15.600 locomotives à vapeur produites en Belgique

Ce voyage dans le temps et dans l’espace rappelle la place prépondérante tenue par la Belgique de la fin du 19e siècle en matière d’industrialisation. Alors que le train ne circule en Belgique que depuis mai 1835, l’entreprise Cockerill fournit, en décembre de cette même année, la première locomotive construite dans le pays : « le Belge ». D’autres constructeurs nationaux lui emboîtent le pas.

La saga se mue en ‘success story’. « De 1835 à 1950, le pays compte pas moins de vingt constructeurs ferroviaires. Ils produiront plus de 15.600 locomotives à vapeur. 30 % de ces engins sont fabriqués pour l’État belge tandis que 70 % sont destinés à l’exportation ainsi qu’à l’industrie privée du pays. Et parmi ces clients, on retrouve la Chine de l’impératrice Cixi », précise Louis Gillieaux, chercheur en histoire ferroviaire.

Jean Jadot, le Belge qui dirigea de la construction de ligne ferroviaire Pékin – Hankou © Archives Jean Jadot – Cliquez pour agrandir

Des vicinaux luxembourgeois aux tramways du Caire

« À partir des années 1860, le pouvoir à Pékin, contrôlé par l’impératrice douairière Cixi, opte pour la modernisation du pays. La construction de lignes de chemin de fer pour relier le nord et le sud de la Chine fait partie de cette politique », relate l’exposition. « Mais, à l’époque, les Chinois se méfient des grandes nations occidentales. C’est alors qu’ils décident de faire appel à la Belgique, petit pays au savoir-faire ferroviaire reconnu et dont les ambitions sont bien moindres que celles des grandes puissances de l’époque. »

Jean Jadot est l’aîné de six enfants. Il fait ses études à Louvain d’où il est diplômé ingénieur à l’âge de 20 ans. Nommé ingénieur de la province de Luxembourg en charge des chemins de fer vicinaux, il dirige la construction de nombreuses lignes. En 1894, le groupe Empain lui propose de prendre la direction de celle des tramways du Caire.

Au bout d’une année, son énergie et sa rapidité d’exécution incitent le groupe Empain à lui confier la direction du chemin de fer de la Basse-Égypte, mission qu’il assume avec efficacité de 1895 à 1898. « C’est alors que l’on pense à lui pour diriger les travaux de la ligne Pékin – Hankou, dont le contrat vient d’être signé. Le 9 octobre 1898, il part pour la Chine », indique Louis Gillieaux.

Jean Jadot y passera 7 années pour y réaliser le chantier de construction de la fameuse ligne. « Une aventure dont les chiffres donnent le tournis », relate l’exposition. « Plusieurs dizaines de milliers de personnes travailleront sur ce chantier. La ligne, longue de 1214 kilomètres, compte 125 gares, mais aussi 2.420 ponts et ouvrages d’art, dont un pont ferroviaire de 3 km lancé sur le fleuve Jaune, le plus long jamais construit à l’époque.»

Le pont sur le fleuve Jaune, le plus long pont ferroviaire du monde (3 km) à l’époque © Archives Jean Jadot – Cliquez pour agrandir

Deux médecins gantois au service des lignes de chemin de fer

Cette exposition consacrée à cette saga est disséminée dans l’ensemble de Train World. Elle mêle photos d’époque, archives de la famille et de nombreux objets récoltés par les Belges travaillant sur place, dont une partie de la collection de Philippe Spruyt. Avec son frère Adolphe, tous deux médecins, diplômés de l’Université libre de Bruxelles, ils sont allés travailler en Chine, au service de lignes de chemin de fer.

Dr Philippe Spruyt sur une draisine © P.Spruyt / musée de la ville de Gand – Cliquez pour agrandir

Philippe arrive en Chine en 1898 et exerce sa profession pour le compte du Pékin – Hankou. Il est basé à Hankou, mais il parcourt la ligne afin d’assurer le service médical pour les Européens et les Chinois. Passionné d’antiquités chinoises, il passe son temps libre à rassembler une collection de plus de 1.100 objets, comprenant de la porcelaine, des bronzes, des costumes, des meubles et des objets usuels, datant principalement de la dynastie Qing (1644-1912). Excellent photographe, ses prises de vue sont un riche témoignage de la vie en Chine au début du XXe siècle.

Une partie passionnante de l’exposition met en valeur ses antiquités, cédées au musée de la ville de Gand en 1954, et ses photos. Une autre partie propose de découvrir une trentaine d’œuvres de l’artiste contemporain chinois Li Kunwu, consacrées à une autre ligne mythique du pays : le chemin de fer du Yunnan, construit entre 1903 et 1909, entre Kunming et le nord du Vietnam, lequel était alors l’Indochine française. Ces œuvres, des lavis à l’encre de Chine, illustrent cette autre épopée ferroviaire et humaine de la Chine du début du XXe siècle d’une manière très personnelle.

Dessin réalisé à quatre mains par Li Kunwu et François Schuiten à l’occasion de l’exposition. – Cliquez pour agrandir

Du TGV chinois aux nouvelles routes de la soie

En fin de visite, l’exposition Pékin-Hankou fait un bond dans le temps. Si aujourd’hui, ces lignes ferroviaires historiques existent encore en partie, elles ont surtout cédé la place aux trains chinois à grande vitesse. Des TGV qui étendent leur réseau à… grande vitesse également.

« La première ligne à grande vitesse chinoise a été inaugurée en 2008, pour les Jeux olympiques de Pékin », rappelle-t-on à Train World. « Douze ans plus tard, ce réseau compte plus de 30.000 kilomètres de voies. La ligne Pékin-Shanghai (1.318 km) a été achevée en 2011. Un an plus tard, c’est la ligne Pékin-Wuhan qui était inaugurée, permettant une liaison jusqu’à Canton. Grande de 2.298 km, elle est la ligne à grande vitesse la plus longue de la planète. »

Le train reste une ossature fondamentale dans ce pays. Et qui concerne une nouvelle fois la Belgique. En 2019, dans le cadre des nouvelles routes de la soie, une ligne de fret ferroviaire quasi quotidienne a été inaugurée entre la Chine et… la région liégeoise.

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