« Old Space » ou «  New Space »? Et si on parlait plutôt de continuum?

4 novembre 2022
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

A l’occasion des trente ans du vol de Dirk Frimout, premier Belge à aller dans l’espace, et des vingt ans du premier vol spatial de Frank de Winne, le deuxième astronaute belge, une semaine dédiée à l’espace était organisée dans de multiples universités du pays. Au programme: diverses activités pour les étudiants et le public, mais aussi des visites d’astronautes et la (re)découverte de leurs missions en orbite. Parmi ces activités ludiques et éducatives, les ingénieurs de l’UCLouvain avaient choisi de mettre l’accent sur un débat autour de la thématique « Old Space – New Space ».

Un vieux tout juste âgé de 65 ans

De prime abord, cette opposition peut prêter à sourire quand on sait que le « Old Space » n’a que quelques dizaines d’années. Le tout premier engin spatial jamais lancé hors de notre atmosphère, Spoutnik, le petit satellite soviétique et ses quatre antennes, c’était en 4 octobre 1957. Il y a de ça à peine 65 ans.

Malgré tout, on oppose souvent les « Old Space », soit les pionniers et les entreprises actives dans le spatial depuis de nombreuses années, aux « New Space », fait de start-ups misant sur une commercialisation intensive de l’espace et de son utilisation. Aux Etats-Unis, l’entreprise SpaceX du milliardaire Elon Musk, produit et propose des services de lancements spatiaux avec des lanceurs réutilisables ou encore des services Internet depuis l’espace avec ses satellites produits et lancés en grandes séries. C’est là une exemple phare de la logique « New Space ».

Le « New Space » fait donc davantage référence à une manière de concevoir le spatial comme un marché commercial composé de biens et de services basés sur des productions en série d’outils et d’équipements standards (lanceurs, satellites).

Mais faut-il vraiment opposer cette nouvelle manière d’utiliser l’espace à celle des entreprises « Old Space », plutôt axées sur une logique économique de prototypes ou de petites séries de production? Pour les participants au débat lancé à l’UCLouvain, clairement, cette dichotomie n’est pas de mise.

Fructueux investissements publics

« Les approches sont différentes », souligne Thibault Jongen, directeur général de la Sabca, une entreprise belge qui fabrique les servo-commandes des moteurs de la fusée Ariane depuis des décennies. Ces dispositifs permettent d’orienter les tuyères des lanceurs, et donc de diriger la fusée pendant le vol.

« L’approche des entreprises actives depuis longtemps dans le spatial n’est pas guidée par des aspects de retours rapides sur investissements, mais bien par des aspects d’autonomie stratégique. Cet aspect-là est davantage présent dans ce qu’on appelle l’« Old Space » plutôt que dans le « New Space » », estime-t-il.

« Ces investissements publics à long terme sont également des investissements dans des innovations qui portent ensuite de beaux fruits. »

C’est parce que la Belgique a pris jadis la décision d’investir pour son armée dans les avions américains de combat F16 que la Sabca a pu développer des servo-commandes pour les gouvernes de ces avions. De fil en aiguille, la Sabca est devenue spécialiste dans le domaine des actionneurs, qui ont fini par équiper les lanceurs spatiaux.

Et l’histoire, ou plus exactement le cercle vertueux, ne cesse d’enchaîner des cycles de valeurs. Après les F16 et son expertise spatiale, la Sabca a encore innové en mettant au point des actionneurs électriques plutôt qu’hydrauliques. Elle se tourne désormais à nouveau avec ce type d’équipements vers un secteur commercial porteur, collaborant avec le constructeur européen Airbus.

Innovations pour tous

Benoit Depère est, pour sa part, le patron d’une jeune entreprise de type « New Space » basée à Mont-Saint-Guibert. Elle vient de construire, à Louvain-la-Neuve, une première usine de satellites produits en série. Outre le modèle de base, il est possible de personnaliser chaque engin en fonction des besoins du client.

« Je pense que ce qui nous différencie des acteurs historiques du secteur spatial, ce sont nos méthodes de production et d’organisation », indique-t-il.

Le marché est tellement gourmand en satellites qu’Aerospacelab a lancé un nouveau projet de nouvelle grande usine (Mega Factory) à Charleroi. En vue: une production de plusieurs centaines de satellites chaque année.

« On voit que les outils et les méthodes de conception dont nous disposons aujourd’hui permettent de construire de plus en plus rapidement des satellites de plus en plus complexes. Avant, cela nécessitait une armée de sous-traitants. Nous sommes dans une étape de transition où nous essayons de faire plus avec moins », poursuit-il.

Changement de paradigme dans l’espace et sur Terre

Le « New Space », aurait-il pu advenir plus tôt ? Marc Bekemans, directeur Recherche et Innovation chez Thales Alenia Space Belgium, basé à Charleroi, ne le pense pas.

« Il y a un paradigme qui a changé dans l’espace, ce sont les volumes », dit-il. « Jusqu’à il y a peu, le marché européen des télécoms portait sur six satellites géostationnaires à lancer chaque année. Et donc, forcément, on faisait du sur-mesure à chaque fois. Ce qui nous amenait à produire cher, puisqu’on produisait en très faible quantité. »

« Cette époque est révolue. On ne consomme plus nos médias uniquement dans le salon grâce à une antenne parabolique installée sur le toit. On veut la télévision sur notre smartphone, disponible partout. Et ce n’est qu’un exemple. Cela a complètement bouleversé le modèle spatial », analyse-t-il.

« Pour pouvoir assurer ce service, il faut que les satellites soient plus près des utilisateurs. Il en faut donc plus, beaucoup plus. Les satellites situés sur des orbite basses ne restent pas fixes au-dessus d’un point de la Terre, mais défilent à grande vitesse. En une heure, ils ont fait plus de la moitié du tour de la planète. Il en faut donc beaucoup pour assurer une continuité des services. On parle de centaines, parfois de milliers de satellites. Ce qui nécessite une production en série. »

« Et il en va de même du côté des lanceurs », reprend Thibault Jongen. « Pour lancer des milliers de satellites, même par grappe, il faut de nombreux lanceurs. La demande du marché fait qu’il faut être beaucoup plus réactifs. Cela ouvre de nouvelles opportunités, ce qui amène à innover sans relâche.»

Cette nouvelle manière de faire, va-t-elle amener la disparition des acteurs traditionnels du secteur? De l’avis général, le « New Space » s’inscrit dans un continuum.

Les entreprises « Old Space » le savent. Elles innovent pour rester dans la course. Les « New Space », jouent-elles dès lors un rôle d’aiguillon dans ce secteur?

« N’oublions pas que les acteurs de la première heure innovent sans cesse et se diversifient. A la Sabca, nous sommes actifs dans le militaire, l’aviation civile, le spatial, les drones », pointe Thibault Jongen.

« De plus, ne perdons pas de vue que des missions uniques continueront d’exister, par exemple celles des satellites scientifiques ou les missions d’exploration du système solaire qui sont, par essence, à chaque fois des prototypes ».

« Les unes ont besoin des autres », estime le panel d’interlocuteurs.

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