Vue générale de la salle dans la grotte de Bruniquel. Prise de mesures pour l’étude archéo-magnétique. © Etienne FABRE - SSAC

La grotte néandertalienne de Bruniquel recèle nombre de secrets à percer

8 janvier 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Agée de 176.500 ans, jamais grotte aménagée aussi vieille que celle de Bruniquel (Sud-Ouest de la France) n’a été découverte. A cette époque, seul Néandertal était dans les parages. Il ne fait nul doute qu’il fut le bâtisseur des énormes structures façonnées par plus de 400 tronçons de stalagmites et retrouvées à 336 mètres de l’entrée. Depuis l’annonce de cette découverte en 2016, les scientifiques ont continué l’enquête. Sophie Verheyden, géologue à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, et Dominique Gentil, archéologue préhistorien au CNRS, sont venus faire le point sur les énigmes qu’il reste à résoudre, lors du « P’tit festival du film archéologique de Rochefort ».

Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappelons un autre point exceptionnel de Bruniquel : les scientifiques ont collecté des traces de feu telles que de la calcite rougie ou noircie par la suie et éclatée par l’action de la chaleur et des vestiges brûlés (os calcinés) qui servaient vraisemblablement de carburant en plus du bois de pin. Une étude magnétique a confirmé que ces matériaux avaient bel et bien été chauffés. Néandertal maîtrisait donc l’éclairage. Les amoncellements stalagmitiques à certains endroits du cercle étaient des foyers qui semblent avoir été pensés pour permettre une combustion longue des carburants.

Restitution 3D des structures de la grotte de Bruniquel après la suppression des repousses stalagmitique récentes. Il ne s’agit donc pas d’une vue de la structure telle qu’elle se présente aujourd’hui. Les 400 fragments de stalagmites de ces structures circulaires totalisent 112 mètres cumulés et un poids estimé à 2,2 tonnes de matériaux déplacés. Ce modèle 3D est construit à partir d’une série de photographies réalisées par Pascal Mora.

La symbolique du cercle

Les 400 morceaux de stalagmites sont superposés sur 2, 3 voire même 4 étages, formant un grand cercle et un plus petit non loin. Pourquoi cette forme particulière ? Quelle était sa fonction ? « Un collègue canadien anthropologue fait le parallèle entre ces cercles et ceux que l’on retrouve chez les Amérindiens. De mon côté, étant spéléologue, je connais bien les bivouacs en forme de cercle que l’on fait dans une grotte en attendant les camarades. Mais on n’est pas Néandertal. Si ça se trouve, c’était tout autre chose », analyse Sophie Verheyden.

« Ce que je veux dire par là, c’est que le cercle a peut-être signification symbolique, ou peut-être que les Néandertaliens venaient chercher quelque chose dans la grotte, peut-être des stalagmites ? On ignore s’ils les sortaient ou pas. En tout cas, je reste dans le questionnement.»

Une croûte de calcite nappe le sol archéologique …

La datation, à l’aide de la méthode radiométrique dite Uranium-thorium, de la structure en cercle façonnée par les 2,2 tonnes de tronçons de stalagmites a fait couler l’encre des médias du monde entier. Mais à part ces résidus géologiques et quelques traces de feu (sur des stalagmites et sur des morceaux d’os brûlés), aucun objet préhistorique (comme des outils en silex) n’a été retrouvé jusqu’à aujourd’hui. Bizarre ? Pas pour Dominique Gentil.

« La calcite nappe les structures sur 10 à 12 centimètres. Le sol archéologique (contenant des outils et autres indices préhistoriques, NDLR) est dessous. On l’a identifié via des carottages que l’on a fait dans le plancher stalagmitique. »

Bruniquel, c’est l’une des plus vieilles architectures du monde conservées in situ. Maintenant que le site est classé, pas question d’enlever cette croûte de calcique. Le ministère français de la Culture et la commission des fouilles ont mis leur veto.

… mais protège des empreintes de pas vieilles de 176.500 ans ?

A défaut de pouvoir peler le site comme une orange, les scientifiques ont un projet de sondages chirurgicaux.

Sophie Verheyden explique, « on a déjà fait deux carottages à l’intérieur de la structure. L’un donne une très belle calcite sans rien de spécial, tandis que dans l’autre, on a trouvé un petit morceau de charbon d’os brûlé. Il doit faire partie du site. » De quoi laisser présager de belles découvertes.

« La présence de calcite, ce n’est pas nécessairement une malchance. En effet, si, à force de recherche et d’exploration des solutions existantes, on trouve l’outil qui permet de mesurer l’épaisseur de la calcite d’une manière très précise, peut-être mettra-t-on au jour une trace de pas qui aura été protégée par le nappage. » À ce moment-là, ce sera une chance que la calcite ait recouvert le site juste après le départ de Néandertal…

Le mystère des parois trop propres est encore à percer

Autre énigme : l’absence de traces sur les parois de la grotte. Alors que les scientifiques ont démontré la présence ancestrale de plusieurs foyers en son sein, il est étrange qu’on ne retrouve aucune marque de mouchage de torches sur les parois, comme l’ont fait, bien plus tard, les Magdaléniens (qui ont vécu entre 17.000 et 12.000 ans avant le présent). « Peut-être Néandertal avait-il un comportement différent sous terre ? », soulève Dominique Gentil. « Ou bien peut-être que les mouchages de torche sont très volatiles et qu’ils se sont effacés endéans les presque 180.000 dernières années. »

Et Sophie Verheyden d’enchérir, « j’ai dû mal à comprendre qu’on n’ait aucune marque sur les parois ne fusse que des empreintes de main ou simplement des traces brunes laissées par le passage. Certes, il s’est écoulé le dernier glaciaire et tout un interglaciaire. La grotte devait être ouverte : on voit bien que des courants d’air sont passés par là, car il y a comme de l’hydromagnésie. Cela révèle la présence d’un courant d’air qui n’est pas le même qu’aujourd’hui, la grotte étant désormais fermée par un éboulis. Ce qui est étrange, c’est que les stalagmites auraient dû être corrodées à cause de ce courant d’air, or ce n’est pas trop le cas. Beaucoup de questions restent en suspens. »

 

 

 

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