Série “Le miel et les abeilles” (2/3)
Parmi les nombreux résultats de Plan Bee, recherche réalisée par Nature et Progrès, ceux concernant le pain d’abeilles solitaires (osmies) et d’abeilles mellifères sont éloquents. Dans cette substance, composée de pollen et de nectar, qui servira de nourriture aux futures larves d’abeilles, ont été retrouvés une large gamme de pesticides utilisés dans les champs alentours. Parfois à des concentrations élevées. Le pain d’abeille se profile ainsi comme un bon indicateur de la santé de l’environnement. Une analyse de l’origine botanique du pollen a également été menée.
L’étude a été réalisée sur cinq sites de captage d’eau de la SWDE (Société wallonne des Eaux): à Ciney, Jandrain, Gerpinnes, Thiméon et Viesville.
Les analyses par microscopie ont été réalisées au laboratoire du Cari, une association belge sans but lucratif créée par une équipe de chercheurs du Laboratoire d’écologie de l’UCLouvain. Tandis que le CRAW (Centre Wallon de Recherches Agronomiques) s’est chargé des analyses d’origine botanique via la méthode dite de «metabarcoding», une technique d’identification moléculaire permettant la caractérisation génétique d’une espèce à partir d’une courte séquence d’ADN.
Butinage à distance
L’alimentation des abeilles est composée à la fois de nectar, source d’énergie, et de pollen, source de protéines.
Les abeilles mellifères, Apis mellifera, s’éloignent généralement de l’ordre de 3 kilomètres de leur ruche pour butiner. Toutefois, cette distance peut s’allonger si elles ne trouvent pas les ressources nécessaires dans leur environnement proche ou « si une culture particulièrement attractive, comme le colza, se trouve plus loin », explique Catherine Buysens, responsable du projet Plan Bee.
Quant aux abeilles solitaires, dénommées osmies, leur rayon de butinage est bien plus court et s’étend au maximum jusqu’à 300 mètres.
Du pain d’osmie
Les osmies sont observables de mars à juin. Une fois fécondée, la femelle établit un nid dont elle va s’occuper seule. Elle privilégie les longues cavités de 0,5 à 1 cm de diamètre. C’est ainsi qu’elle est régulièrement observée dans les tubes de bambou ou les trous percés dans des blocs de bois ornant les hôtels à insectes. Avant de s’y établir, elle y effectue le ménage à reculons.
Sa tâche sera ensuite d’édifier des logettes et de déposer un œuf dans chacune d’entre elles. Son principal matériau de construction, c’est l’argile. Elle la prélève avec ses pattes en grattant un coin de terre humide, et la malaxe avec un peu de salive. Elle la transporte jusqu’au nid sous forme de petites billes de 2 mm de diamètre et s’en sert pour construire la première cloison et l’ébauche de la deuxième.
Elle visite les fleurs de son environnement proche afin d’en prélever du pollen via sa brosse ventrale ainsi que du nectar qu’elle emmagasine dans son jabot. Une fois de retour dans la logette en construction, elle régurgite le nectar et le mélange avec le pollen pour fabriquer du pain d’abeille, qui nourrira la future larve. Lorsque la quantité de pain d’osmie est suffisante, après environ 10 à 30 voyages, elle pond un œuf sur celui-ci et termine la cloison constituée de terre fermant la logette.
Elle façonne ainsi une dizaine de cellules à la queue leu leu dans la galerie, dont elle fermera finalement l’entrée par une épaisse cloison d’argile.
Origine du pollen du pain d’osmie
« De mars à juin en 2020 et 2021 des tubes colonisés par les osmies ont été récoltés chaque semaine dans les hôtels à insectes situés à Orp-Jauche et à Ciney. Et ce, pour y prélever du pain d’osmie, conservé ensuite à –18°C avant analyse botanique et recherche de pesticides », explique Catherine Buysens. Cet échantillonnage a également eu lieu à Gerpinnes, à Viesville et à Thiméon, mais uniquement en 2021.
« Les plantes qui ont été le plus butinées par les osmies appartiennent aux familles des Rosacées (prunelliers, ronces) et des Renonculacées (ficaires, renoncules, surtout en fin de printemps). De nombreux échantillons de pain d’osmie contenaient également du pollen des Salicacées (saules). Ensuite, en plus petites quantités, nous avons du pain d’osmie de Brassicacées (là où des champs de colza sont proches des sites d’étude), d’Astéracées, Fabacées ou Boraginacées. Nous n’avons pas observé de grosses différences entre les sites et entre les années de prélèvement. »
Cocktail assassin
Selon une étude menée notamment par un chercheur de l’UCLouvain, les pesticides appliqués sur une culture non attractive aux pollinisateurs, et par là communément considérés comme non risqués, peuvent toutefois être une source d’exposition à travers les plantes indésirables, la dérive sur des plantes voisines ou des cultures successives.
« C’est également ce que nous avons constaté. Les résidus de pesticides retrouvés dans le pain d’osmie à des concentrations élevées sont, pour les différents sites, principalement des herbicides appliqués au printemps sur de grandes cultures. »
« Il s’agit des substances actives suivantes: chloridazon (appliqué dans le cadre de la culture de betteraves), chlortoluron (céréales, fruitiers), benfluralin (chicorée, pois), métamitron (betteraves, légumes), pendimethalin (pommes de terre, légumes, maïs, céréales), propyzamide (colza, fruitiers, luzerne), prosulfocarb (céréales, légumes, pomme de terre), terbutylazine (maïs) et glyphosate. »
« Quelques fongicides (prothioconzale-desthio, fluopyram) ont été retrouvés à des concentrations élevées, principalement là où il y a du colza ou des céréales proche des hôtels à insectes étudiés, comme à Ciney. Ensuite, en termes d’insecticides, nous avons le tebufenozide (fruitiers, légumes) ou le thiacloprid (néonicotinoïde utilisé en fruitiers, pomme de terre). »
Pain d’abeilles mellifères, un constat similaire
Chez les abeilles mellifères, les ouvrières, des femelles stériles, sont les butineuses qui récoltent le pollen sur les anthères des fleurs. Afin de les stocker sous forme de boulettes sur leurs pattes arrière, elles ajoutent un peu de nectar assurant la cohésion. De retour à la ruche, ces pelotes sont placées dans des alvéoles vides près du couvain, où elles vont subir une lactofermentation et devenir du pain d’abeille.
En 2020 et 2021, des prélèvements de pain d’abeilles mellifères ont eu lieu d’avril à septembre. Leur période de butinage étant plus étendue et s’effectuant dans un rayon plus grand, il n’est pas étonnant que l’origine botanique du pain d’abeilles mellifères soit plus diversifiée que pour le pain d’osmie. Les deux familles dominantes sont les Fabacées et les Rosacées. « Nous retrouvons également beaucoup d’essences d’arbres appartenant aux familles des Oleacées, Cornacées et Acéracées. »
« Pour ce qui est des résidus de pesticides retrouvés dans le pain des abeilles mellifères, nous avons toute une série de fongicides et herbicides que l’on retrouve à des concentrations élevées et parfois supérieures à la Limite Maximale de Résidus (LMR) autorisée dans le pollen destiné à la consommation humaine. Pour les différents sites, il s’agit en général des mêmes molécules retrouvées dans le pain d’osmies. »
« Si certains de ces pesticides ont déjà été retirés du marché, d’autres ne le sont pas. Or, les alternatives aux pesticides chimiques de synthèse existent : les producteurs bio le montrent tous les jours », conclut Catherine Buysens.