Alors que le 31 mars, l’ESA ouvre officiellement sa campagne de recrutement d’astronautes, elle entend «renforcer la diversité des genres dans ses rangs», et «encourage vivement les femmes à postuler». Une révolution! A une époque pas si lointaine, les portes de l’espace leur étaient tout bonnement interdites. Dans son dernier ouvrage, « Astronomie de l’étrange », paru aux éditions Belin, Yaël Nazé, maître de recherches FNRS en astronomie à l’ULiège, revient, notamment, sur cette guerre des sexes pour se rapprocher des étoiles.
La pionnière est russe
« Si l’on examine de près les sélections, et ce, quel que soit le pays, une constante s’y retrouve : peu ou pas de femmes. Parmi les astronautes ayant volé, on ne compte environ que 10 % de femmes. »
Les Soviétiques, alors en pleine guerre froide avec les Américains, sont les premiers à réaliser un envol féminin. Valentina Terechkova est pilote et parachutiste. Outre pour ses compétences, elle est choisie pour sa proximité avec le Parti communiste. « Du point de vue politique, c’est une perle : fille d’un héros de guerre, ouvrière dans une usine textile et bonne communiste. » Du 16 au 18 juin 1963, soit 2 ans après le premier vol spatial de Youri Gagarine, elle effectue 48 orbites autour de la Terre en 70 heures et 41 minutes.
Si les Russes ont été pionniers dans l’accès à l’espace tant par un homme que par une femme, il faudra attendre 20 ans pour qu’une cosmonaute soit à nouveau envoyée dans l’espace. Ce fut en 1982, avec Svetlana Savitskaïa.
« Sur les 5 décennies précédant la mission d’Elena Serova en 2014, 19 femmes russes ont été entraînées pour seulement 3 finalement autorisées à voler », mentionne Yaël Nazé.
Quasi 20 ans pour que la fiction devienne réalité
Aux Etats-Unis, l’accès à l’espace fut longtemps une affaire exclusivement d’hommes. Au début des années 60, malgré leur CV exceptionnel (un tiers d’entre elles comptent de 8000 à 10.000 heures de vol, contre à peine 2900 à 5100 pour les hommes sélectionnés), leur excellence aux différents tests physiques et psychologiques, les 13 femmes pilotes et parachutistes composant le groupe des Mercury 13 se verront opposer un veto par la NASA.
Le changement de mentalité viendra d’une … série télévisée du nom de Star Trek. « L’officier communications, toujours présent à l’écran, est le lieutenant Uhura. Particularités : c’est une femme, afro-américaine de surcroît! Après la diffusion de la série entre 1966 et 1968, suivie de ses multiples rediffusions, Star Trek gagne en popularité. Et voir une femme dans l’espace ne semble plus si incongru », explique l’astronome de l’ULiège.
En 1978, des femmes sont enfin sélectionnées par la NASA dans une campagne de recrutement d’astronautes. Sally Ride sera la première Américaine à franchir les portes de l’espace. C’était en 1983, à bord de la navette américaine. Et en 1999, Eileen Collins est la première femme à en prendre le commandement.
Aujourd’hui, parmi la cinquantaine d’astronautes américains en activité, un tiers est composé de femmes. Et certaines, envoyées à bord de la station spatiale internationale (ISS), réalisent des sorties extravéhiculaires. Autrement dit, équipées d’un scaphandre autonome, elles sortent dans l’espace, juchées à 400 km au-dessus de la surface de la Terre. Une première sortie 100 % féminine a eu lieu en octobre 2019.
La tendance à donner une place plus importante aux femmes dans l’exploration spatiale semble amorcée. Dernièrement, la Nasa s’est engagée à envoyer une femme sur la Lune lors de son prochain voyage vers notre satellite naturel.
Evolution trop lente des mentalités
Qu’en est-il en Europe ? La sélection qui vient de s’ouvrir est la deuxième entièrement menée par l’ESA. La première, en 2009, avait vu la sélection de 5 hommes (rejoint par un 6e en 2015), et d’une seule femme, Samantha Cristoforetti. L’Italienne est la 3e femme européenne à être allée dans l’espace.
Les astronautes européens précédents n’ont pas commencé leur carrière sous la houlette de l’ESA. Ils ont été sélectionnés par leur agence spatiale nationale dans les années 80 pour le projet de navette européenne Hermès, qui n’a finalement jamais vu le jour. Certains d’entre eux ont alors intégré le corps d’astronautes européens en 1998 et 2002.
« En Belgique, cinq personnes avaient été choisies, mais seulement deux sont passées à l’ESA : Franck Dewinne et Marianne Merchez. Celle-ci a démissionné avant de voler dans l’espace. Une des raisons est une aberration administrative, malheureusement insoluble : elle devait s’entraîner à la Cité des Etoiles (à Moscou), alors que son futur époux, lui aussi sélectionné pour aller dans l’espace, était, quant à lui, envoyé à Houston pour suivre son entraînement. Elle a démissionné pour le rejoindre », explique Yaël Nazé.
Parmi les femmes européennes à avoir franchi la porte de l’espace, située à 100 km au-dessus de nos têtes, il y a la Française Claudie Haigneré, avec un premier vol en 1996 (station MIR) et un second en 2001 (ISS). Et, en 1991, l’Anglaise Helen Sharman. Mais celle-ci a été étrangement effacée de la mémoire collective. « Lors de son vol 2015, le Britannique Tim Peake fut présenté comme le premier Britannique dans l’espace, en oubliant purement et simplement sa compatriote partie 24 ans plus tôt… »