Marie d’Udekem-Gevers a enseigné l’anthropologie des religions à l’UNamur. Selon la conférencière au Collège Belgique, la naissance des religions mérite d’être étudiée de façon innovante. La chercheuse présente une synthèse d’approches récentes de l’émergence et du début de l’évolution du phénomène religieux dans «Pourquoi et comment sont nées les religions?», collection «L’Académie en poche».
Des racines biologiques
Comment le phénomène religieux est-il né? «Les scientifiques sont unanimes à souligner, à la suite de Darwin, que l’émergence de la religion, tout comme celle de la morale d’ailleurs, a des racines biologiques très profondes», souligne l’anthropologue, zoologiste et informaticienne. «La complexité mise en évidence de l’histoire évolutive des religions suggère de l’étudier dans un cadre explicatif nouveau, plus large que celui de Darwin, celui d’une synthèse évolutive étendue. Ce dernier apporte des notions nouvelles telles que la sélection à plusieurs niveaux, qui implique une acception plus large de la sélection naturelle que celle proposée par Darwin.»
Pour la Pre d’Udekem-Gevers, «ces nouveaux concepts, qui ne font certes pas l’unanimité dans la communauté scientifique, méritent cependant une grande attention. Notamment, parce qu’ils peuvent apparaître comme des indices de complexité».
Dieu surgit avec l’évolution du cerveau
«Si l’on accepte de se placer dans le cadre global de l’évolution biologique et culturelle, il apparaît comme normal que le concept de dieu n’ait pas existé depuis le début de l’humanité», poursuit la spécialiste. «Ce concept a surgi à un certain moment du processus de l’évolution du cerveau. Et correspond à une certaine vision du monde. Surtout à une forme d’organisation des sociétés.»
Il y a plus de 7 millions d’années, l’ancêtre commun aux humains et aux chimpanzés actuels avait des caractéristiques cognitives, émotionnelles et comportementales insuffisantes pour qu’émerge la religion.
«L’on peut observer, aujourd’hui chez nos cousins proches, les chimpanzés, le partage de comportements culturels étonnants», relève Marie d’Udekem-Gevers. «Dont certains ne sont pas sans évoquer des rites symboliques.»
Une aide face à l’angoisse, la solitude, la mort
Des études du Pan African Programme dévoilent des rituels curieux chez les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest. Comme accumuler des pierres entre les racines saillantes des arbres. Ou frapper des arbres avec des pierres pour créer des cercles.
«Ces rituels étranges, et peut-être symboliques, des chimpanzés pourraient s’interpréter comme s’enracinant dans un passé commun que nous partageons avec eux», pense l’anthropologue.
Impossible de dater avec précision le début de l’histoire de la religion. D’après la Pre d’Udekem-Gevers, «l’émergence de la religion concerne en tout cas Homo sapiens. Mais peut-être aussi d’autres espèces humaines, notamment Homo neanderthalensis. La première étape serait celle de l’émergence d’une religion familiale, fruit de la sélection biologique. Puis une religion institutionnelle qui aurait pour effet non seulement d’augmenter encore la force des liens au sein d’un groupe local, mais aussi d’aider émotionnellement les individus. Face à l’angoisse, au sentiment de solitude, à la mort…»
Les croyances et les comportements religieux évoluent
Dans une étude, deux chercheurs au département d’Archéologie et d’anthropologie de l’University of Cambridge (Royaume-Uni), Hervey C. Peoples, Pavel Duda et Frank W. Marlowe du département de Zoologie de l’Université de Bohème du Sud (Tchéquie) proposent des scénarios de reconstruction de l’évolution des croyances. Et des comportements religieux chez les premiers êtres humains modernes. À partir de 33 sociétés de chasseurs-cueilleurs.
1. Croire que toutes les choses naturelles influent sur les vies humaines. 2. Croire en une sorte de survie après la mort. 3. Reconnaître socialement un chaman. 4. Le culte des ancêtres en général. 5. Croire en de «Grands Dieux», omniscients et puissants. 6. L’influence des ancêtres. 7. Le culte de «Grands Dieux» impactant les affaires humaines.
«Il faut remarquer que ces auteurs ne connaissent pas les textes des scientifiques francophones», déplore Marie d’Udekem-Gevers. «Cela n’étonnera personne, mais c’est particulièrement regrettable. Car Peoples et ses collègues auraient pu y trouver un complément d’information. Et peut-être aussi, augmenter la taille de l’échantillon de 2016.»