Le microbiologiste belge Peter Piot, ancien patron d’ONUSIDA et directeur de la London School of Hygiene and Tropical Medicine à Londres, ne voit pas le SARS-Cov-2 disparaître de si tôt. « Nous allons devoir apprendre à vivre avec lui », estime-t-il. « Comme nous l’avons fait avec le virus du VIH. Mais cela ne veut pas dire que nous allons baigner continuellement dans l’état d’urgence actuel. »
Celui qui a été nommé l’an dernier conseiller spécial d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, en matière de recherche et d’innovation pour la Covid-19, trace volontiers des parallèles entre l’épidémie de sida induite par le VIH et l’actuelle pandémie. Des parallèles qui présentent toutefois quelques sérieuses différences.
VIH et SARS-CoV-2 : même combat ?
« Le sida et la Covid sont les deux plus grandes épidémies qui frappent l’Humanité depuis la grippe espagnole, il y a cent ans », dit-il. « Mais n’oublions pas, quand on parle de la Covid (et de ses 2,3 millions de décès, actuellement recensés dans le monde), nous sommes loin des 35 millions de victimes du VIH. »
« Les deux épidémies sont des zoonoses. Le VIH vient du chimpanzé. Le SARS-CoV-2, on ne le sait pas encore, mais probablement des chauves-souris. La grande différence entre les deux, c’est leur mode de transmission : les relations sexuelles pour le VIH, les voies respiratoires pour le SARS-CoV-2. Le temps d’incubation du virus est aussi différent : cela peut aller jusqu’à 10 ans pour le premier tandis que pour le second, c’est quasi immédiat. »
Un vaccin n’est pas l’autre
Dans un cas comme dans l’autre, les gestes barrières sont importants pour limiter la circulation du virus. Les vaccins également. Mais pourquoi, alors que la pandémie de Covid souffle à peine son premier anniversaire, des vaccins efficaces sont-ils déjà disponibles, alors que pour le VIH, apparu en 1983, on attend toujours ?
« Ce n’est pas une question de manque de budgets », estime Peter Piot. « Des dizaines de milliards d’euros ont été investis dans la recherche et le développement d’un vaccin contre le VIH. Les raisons qui font qu’il n’est toujours pas disponible sont ailleurs. »
« Tout comme le VIH, le SARS-CoV-2 mute. On en a des exemples avec les variants actuels. Mais cela n’a rien de comparable. Le VIH mute tout le temps », explique-t-il. « C’est une première explication. De plus, n’oublions pas que le VIH infecte notre système immunitaire. Il s’attaque aux cellules qui sont censées nous protéger. Nous n’avons pas encore trouvé de solution pour empêcher cette infection. Beaucoup de progrès ont tout de même été faits dans ce domaine, principalement en recherche fondamentale. Malgré tout, ce virus est toujours présent. Et nous avons appris à vivre à ses côtés, en rappelant ici aussi l’importance des gestes barrières qui permettent d’éviter sa transmission. »
« Ce qui est remarquable avec le SARS-CoV-2, c’est son mode de transmission, y compris par des personnes asymptomatiques. Avec le SARS, un autre coronavirus, ce n’était pas du tout la même chose. La transmission du virus était moins efficace. Pourquoi cette différence ? Parce que le virus de la Covid se loge essentiellement dans la gorge et les voies respiratoires supérieures, alors que pour le SARS, c’est surtout au niveau des poumons qu’il se localisait. »
Une discipline sanitaire sur le long terme
Ce qui amène le microbiologiste belge à évoquer l’avenir. « Je pense que nous allons devoir apprendre à vivre avec le SARS-CoV-2 pendant longtemps. Ce qui ne veut pas dire que nous resterons dans la situation de crise que nous connaissons actuellement. Grâce aux vaccins, la situation devrait s’améliorer et nous permettre de retrouver une vie plutôt normale. Mais de temps en temps, nous assisterons à des flambées épidémiques. »
Cela signifie qu’il faudra continuer à observer certaines règles de vie en société. Par exemple, le port du masque, particulièrement quand on est enrhumé, afin de protéger les autres. Cette mentalité existe déjà depuis des années dans certains pays asiatiques comme le Japon ou la Corée du Sud. Cet esprit, cette discipline personnelle altruiste, devrait aussi se développer en Europe, la région qui est actuellement la plus touchée par l’épidémie.
Une crise, c’est aussi l’occasion de tirer des leçons. Peter Piot en identifie quelques-unes. « Je pense qu’il faut mieux s’organiser. Il faut une meilleure surveillance épidémiologique, des capacités rapides de séquençage, des structures de décisions plus efficaces. En Belgique, il y a beaucoup de centres de décision. Pour une épidémie, en période de crise, c’est un handicap. »
Parmi les leçons à tirer, au niveau européen: notre trop grande dépendance aux pays tiers pour nos approvisionnements, notamment en matières premières.
Les zoonoses ne sont pas les seules menaces
Sommes-nous prêts pour faire face à une nouvelle pandémie ? « La réponse est malheureusement toujours non », estime le Pr Piot, qui vient de recevoir les insignes de Docteur honoris causa de l’Université catholique de Louvain. « La prochaine pandémie sera sans doute aussi une zoonose », dit-il.
D’où viendra-t-elle ? De n’importe où. « Nous ne devons pas négliger l’émergence d’un autre coronavirus. Ici, c’est déjà le troisième qui nous frappe, après le SRAS et MERS. Un autre problème concerne aussi les virus créés par l’Homme. Et puis, il y a les autres urgences : lutter contre le développement de l’antibiorésistance, le réchauffement de la planète, la destruction de l’environnement. Tout cela est lié à nos modes de vie, à nos systèmes de production de nourriture, à certains de nos modèles économiques, aux relations Nord-Sud. »
« Tout cela augmente aussi les risques de voir apparaître de nouvelles épidémies et résulte de notre incapacité à vivre en harmonie avec la Nature. Je ne suis pas le douanier Rousseau, mais je pense que nous devons revoir notre rapport à la Nature, le climat, l’énergie. Je pensais jadis que c’étaient là des problèmes à long terme. Mais non, ce sont désormais des problèmes immédiats, des problèmes d’équité, de justice, auxquels je n’ai pas de réponse. Tout cela nécessite une approche internationale, multilatérale », conclut le Pr Piot.