La recherche sur les animaux âgés de plusieurs dizaines de millions d’années bénéficie des technologies les plus modernes. Des embryons de dinosaures africains et un crocodile fossile découvert dans la fosse aux iguanodons de Bernissart, en Belgique, viennent de passer aux rayons X. Et les différentes techniques d’imagerie utilisées ont réservé quelques surprises aux chercheurs.
Prenons le crocodile, tout d’abord. Il fait partie des collections de l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB). Daté de quelque 125 millions d’années, Bernissartia fagesii, a été découvert à la fin des années 1870 à Bernissart, en même temps que les fossiles d’une trentaine d’iguanodons. Et le crocodile n’était pas seul à sortir de terre, dans ce coin de Hainaut. Trois autres spécimens ont également été découverts ainsi que … toute une ménagerie d’époque! Une cigale, 3000 poissons, une salamandre, six tortues et des fougères en pagaille ont été remontés de l’ancien charbonnage.
Des détails cachés par la colle et les sédiments
Les crocodiles ont été étudiés, traités, et l’un d’eux a même été remonté. Il est présenté au public dans la galerie des dinosaures, au Muséum des sciences naturelles de Bruxelles.
Des chercheurs belges, français et italiens ont fait passer le crâne d’un de ces Bernissartia fagesii sous un CT-Scan. Cela leur a permis d’étudier certains détails de son anatomie qui n’étaient pas directement visibles, à cause des colles utilisées à la fin du 19e siècle pour préserver le fossile ou encore à cause de la présence de sédiments qui adhèrent toujours aux restes de l’animal. Cette nouvelle vision claire de son anatomie ont permis aux paléontologues, dont le Dr Thierry Smith, de l’IRSNB, d’en faire une description plus détaillée et d’ainsi faciliter la comparaison de certaines de ses caractéristiques avec d’autres types de crocodiles.
Un régime alimentaire varié
« Sur base de 345 caractères anatomiques, les chercheurs situent ce petit crocodile proche du début de l’évolution des crocodiles modernes (Eusuchia), qui a commencé il y a environ 145 millions d’années (Crétacé inférieur) », précise l’IRSNB. « Les paléontologues ont remarqué sur les images un mélange de caractères primitifs et modernes, notamment les choanes, les narines internes, qui semblent être plus modernes ».
« Certains détails observés sur la dentition confirment la présomption que Bernissartia n’était pas sélectif pour sa nourriture. Ses dents postérieures aplaties lui permettaient de briser des mollusques comme des gastéropodes d’eau douce et des moules, ainsi que des insectes et des écrevisses. Ses dents antérieures permettaient probablement de déchiqueter de petits vertébrés: grenouilles, lézards… », ajoutent les chercheurs.
Des embryons de dinos étudiés dans l’œuf
En France, à Grenoble, ce sont des œufs de dinosaures provenant d’un site d’Afrique du Sud qui ont été étudiés grâce aux puissants rayons X du Synchrotron européen (ESRF).
L’équipe scientifique internationale dirigée par l’Université du Witwatersrand en Afrique du Sud, qui a soumis ses œufs au rayonnement synchrotron, a pu examiner en 3D et reconstruire les moindres détails des crânes de certains des plus anciens embryons de dinosaures connus au monde. Les embryons, exhumés en 1976 dans le parc national des Golden Gate Highlands (Free State Province, Afrique du Sud), appartiennent à Massospondylus carinatus, un herbivore de 5 mètres de long qui a habité dans cette région d’Afrique du Sud il y a 200 millions d’années.
Les embryons ont été scannés avec un niveau de détail sans précédent. Les scientifiques ont pu voir jusqu’aux cellules osseuses individuelles. Un modèle 3D du crâne de bébé dinosaure a été réalisé.
Similitudes avec des embryons de poulets, crocodiles, tortues, lézards…
« Jusqu’à présent, on pensait que les embryons de ces œufs de dinosaures étaient morts juste avant l’éclosion », indique l’ESRF. « Cependant, au cours de l’étude, les scientifiques ont remarqué des similitudes avec le développement d’embryons chez les plus proches parents modernes des dinosaures (crocodiles, poulets, tortues et lézards). En comparant quels os du crâne étaient présents à différents stades de leur développement embryonnaire, les chercheurs sud-africains ont démontré que les embryons de Massospondylus étaient en réalité beaucoup plus jeunes qu’on ne le pensait et n’étaient qu’à 60 % de leur développement embryonnaire ».
L’équipe a également constaté que chaque embryon avait deux types de dents préservées dans ses mâchoires. Le premier type, composé de dents triangulaires très simples, aurait été résorbé ou serait tombé avant l’éclosion, tout comme pour les geckos ou les crocodiles aujourd’hui. Le second, similaire aux dents de Massospondylus adultes, serait celles présentes à l’éclosion. « J’ai été vraiment surprise de constater que ces embryons avaient non seulement des dents, mais aussi deux types de dents. Les dents sont si minuscules. Leur taille varie de 0,4 à 0,7 mm de large. C’est plus petit que la pointe d’un cure-dent ! », explique Kimberley Chapelle, de l’Université du Witwatersrand, qui a dirigé cette étude.
Avec ses collègues, elle estime que ces dinosaures se sont donc développés dans leurs œufs d’une façon similaire à leurs parents reptiliens. « Dont le schéma de développement embryonnaire n’a pas changé en 200 millions d’années », conclut-elle.