Salamandre tachetée

Un champignon asiatique asphyxie les salamandres européennes

17 août 2022
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

Série : Envahissant! Vous avez dit envahissant? (2/3)

Les espèces invasives ne sont pas toutes dotées du gigantisme de la berce du Caucase. Certaines sont minuscules, mais provoquent, malgré tout, des ravages. C’est le cas de Batrachochytrium salamandrivorans, de son petit nom Bsal. Il s’agit d’un champignon de l’Asie du Sud-Est éradicateur d’urodèles. Observé depuis 2013 en Belgique, il a décimé des populations entières de salamandres tachetées. Des mesures de protection ont permis de limiter l’extension des foyers infectieux. De quoi éradiquer le pathogène ? Rien n’est moins sûr, car la surveillance des populations de salamandres sauvages a connu un relâchement.

Des foyers à tenir à l’œil

« Il n’y aurait pas eu d’emballement infectieux ces dernières années en Belgique. En effet, peu de cas ont été recensés. Toutefois, peu de populations de salamandres sont suivies de façon régulière. Dès lors, le nombre de cas réels d’infection par Bsal est certainement sous-estimé », explique Arnaud Laudelout, naturaliste au sein de Raînne, le pôle herpétologique de Natagora.

Par ailleurs, depuis quelques années, notre pays subit de longues périodes de sécheresse durant lesquelles les salamandres restent cachées dans un terrier de rongeur situé sur talus, sous une pierre, sous des morceaux de bois. Cela complique, bien entendu, le suivi des populations.

L’Allemagne est le pays européen le plus touché par Bsal. « Davantage de suivi y est réalisé. La maladie a tendance à se disperser autour des foyers d’infection. On en dénombre plusieurs dizaines, localisés pour la plupart à quelques kilomètres de la frontière belge. » A noter qu’un nouveau foyer a été découvert récemment non loin de la frontière autrichienne.

Les foyers allemands de salamandres infectées par Bsal se concentrent proche de la frontière belge © BsalEurope

Mort par asphyxie

Si le champignon pathogène Bsal infecte désormais la faune sauvage européenne, c’est suite à l’introduction de salamandres infectées, issues de Thaïlande, du Vietnam et du Japon, dans des vivariums occidentaux. Certaines ont pris la poudre d’escampette, ou ont été délibérément relâchées dans la nature.

La chytridiomycose, la maladie mortelle causée par une infection au Bsal, se manifeste par des ulcérations de la peau. « Le champignon prolifère dans la peau des amphibiens causant, chez les salamandres, la mort par asphyxie deux semaines après l’infection. En effet, la peau joue un rôle essentiel dans leur respiration » , précise-t-on chez Natagora. « Les animaux infectés sont généralement apathiques, mais peuvent aussi être atteints de problèmes de coordination motrice et donner alors l’impression de gigoter dans tous sens. »

Cependant, il est à noter que les symptômes liés à l’infection sont difficilement détectables avant le stade final de la maladie.

Lésions cutanées chez des salamandres tachetées infectées par Bsal © UGent

 

Un pathogène très contagieux

L’arrivée du pathogène dans une population de salamandres est associée au déclin dramatique et rapide de celle-ci, sans aucun signe de récupération. Ainsi, au sein du premier foyer européen, découvert par des chercheurs de l’Université de Gand, en 2012, au Bunderbos (Pays-Bas), Bsal a causé la mort de 99,9 % des salamandres de la population.

« Des analyses menées à l’université de Gent ont démontré que les salamandres sont incapables de développer la moindre résistance au pathogène. En outre, le champignon survit dans l’eau et dans le sol, mais aussi, et surtout chez d’autres espèces d’amphibiens qui agissent comme un réservoir d’infection. Ces dernières permettent donc au pathogène de persister dans l’environnement, hypothéquant ainsi toute récupération des populations de salamandre tachetée », explique Arnaud Laudelout.

« Si la maladie est extrêmement contagieuse, elle se propage toutefois lentement, car les amphibiens se dispersent peu. Aussi, la période la plus contagieuse est au début de l’installation du foyer, quand les salamandres sont encore abondantes. Lorsqu’elles meurent, le taux de spores de Bsal dans l’environnement chute de manière spectaculaire. La maladie dépend aussi d’une dispersion accidentelle des spores par humains, sous leurs chaussures. »

Des mesures d’hygiène qui ont porté leurs fruits

En 2013, les premières victimes belges de Bsal ont été découvertes à Eupen. Suite à cela, des infections ont été découvertes à Robertville (avril 2014), Liège (janvier 2014), Duffel (mai 2015) et Dinant (avril 2016). Puis à Olne en décembre 2019. « Il est très probable que d’autres cas soient passés inaperçus. »

Pour lutter contre la dispersion du champignon pathogène, des panneaux ont été installés dans les massifs boisés où il a été décelé, demandant aux visiteurs de limiter au strict minimum leur circulation dans la zone. Et, avant toute nouvelle sortie en forêt, de veiller à nettoyer scrupuleusement et à faire sécher complètement ses chaussures ou bottes à une température supérieure à 25°C. En effet, les spores de Bsal sont sensibles à la chaleur. Une autre solution est de désinfecter les bottines sur le terrain.

« La plupart des endroits touchés par Bsal sont des zones très fréquentées par les promeneurs. Au vu, de prime abord, de l’absence d’extension des foyers, il semble qu’ils aient bien suivi les recommandations. »

Les tritons trinquent aussi

Bsal est capable d’infecter et de décimer de populations de différentes espèces de salamandres et de tritons. Mais crapauds et grenouilles n’y pas sont sensibles.

En 2018, Bsal a été détecté dans une population sauvage de tritons marbrés (Triturus marmoratus) dans le nord de l’Espagne. Soit à plus de 1000 km du foyer naturel le plus proche. En 2020, des foyers ont été découverts en Bavière (Allemagne) infectant et tuant tant des salamandres tachetées que des tritons alpins.

« En Wallonie, aucun cas d’infection de triton n’a été rapporté. Mais comme leurs populations ne sont pas suivies, on ne peut pas dire que Bsal ne les infecte pas », précise Arnaud Laudelout.

Actuellement, la Belgique compte 4 espèces de tritons indigènes. « Le triton alpestre (le plus abondant en Wallonie et à Bruxelles) et le triton ponctué (en déclin) sont modérément sensibles au pathogène tandis que le triton palmé (relativement commun en Wallonie) y semble insensible. Quant au degré de sensibilité du triton crêté (en très forte régression), il est encore mal documenté, mais est probablement élevé.»

Voilà qui ne va pas améliorer le sort des amphibiens, tristement connus comme étant la classe de vertébrés la plus menacée par la dégradation et la destruction des habitats, la pollution, l’urbanisation, l’agriculture intensive, les maladies, les espèces invasives, le commerce et le changement climatique. De par le monde, selon la liste rouge de l’IUCN, 41 % des espèces d’amphibiens sont d’ores et déjà menacées d’extinction.

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