La mort de Socrate par Jacques-Louis David – photo libre de droit

Mieux connaître Socrate

17 novembre 2023
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“Qui était Socrate?”, par Guy Donnay. Collection L’Académie en poche. VP 9 euros, VN 3,99 euros

Dans la collection L’Académie en poche, Guy Donnay répond à «Qui était Socrate?». Le philosophe athénien, condamné par le vote de 281 jurés contre 220. Pour ne pas croire aux dieux auxquels croit sa cité, d’y avoir introduit de nouveaux démons, d’avoir corrompu la jeunesse. Contraint à boire du poison extrait de la grande ciguë, à l’âge de 70 ans, en 399 avant notre ère.

Le philosophe Criton aurait proposé de soudoyer des geôliers pour faire évader son maître. Socrate aurait refusé. L’attrait pour la mort qui l’attend s’expliquerait par sa conviction que la mort est une délivrance. Le philosophe aurait demandé à son disciple de sacrifier un coq au dieu grec de la médecine Asclépios. Comme si sa mort était une guérison.

Une fiction entretenue dans les manuels

Socrate n’a laissé aucun écrit. On ne connaît de son enseignement que ce qu’en disent ceux qui se sont proclamés ses disciples. «En un temps où la philosophie est mise à toutes les sauces, il ne m’a pas semblé hors de propos de rendre à son fondateur présumé une épaisseur humaine en revisitant sans a priori la totalité des sources qui le concernent. Et en tenant compte du contexte politique, culturel et social dans lequel il a vécu», pense l’ex-enseignant à l’ULB de l’histoire de la pensée scientifique dans l’Antiquité, l’histoire de la religion grecque et l’histoire de l’art grec, étrusque, romain.

«En fait, le Socrate des manuels de philosophie est une fiction dont l’artisan principal a été Platon. Et qui d’Athènes à Rome et de Byzance à l’Italie du quattrocento, a fini par s’imposer dans l’imaginaire occidental.»

Pour François de Callatay, membre de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique, «Guy Donnay entend redonner de la plasticité au personnage, l’extraire du manteau raidi dans lequel il se trouve comme enfoui depuis que Platon surtout, et bien d’autres très vite l’ont immortalisé. Le portrait qui en émerge séduit aussi par ses contradictions: un nanti va-nu-pieds, un déiste impie, un ascète porté sur le sexe, à la fois engagé et distant. Quelques fils rouges toutefois dont le plus pesant est cet ancrage politique résolument conservateur, forcément pythagoricien. Donc au-delà des apparences, un pro-aristocrate opposé au régime démocratique, qu’il finira par payer de sa vie.»

Pas un, mais des Socrate

Guy Donnay nous fait découvrir plusieurs Socrate. Le fils d’un sculpteur et d’une sage-femme, mauvais élève à l’école du quartier. Un adolescent doué de dons exceptionnels à l’oral qui côtoie au gymnase des hommes qui fortifient leur corps, parlent de philosophie et de littérature, entretiennent des relations sexuelles avec les jeunes qu’ils instruisent, selon une coutume. Un passionné de physique matérialiste. Un défendeur du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Un expert en l’art oratoire de la maïeutique, l’accouchement des esprits au moyen de dialogues qui mettent le doigt sur les contradictions. En invoquant volontiers la maxime «Connais-toi toi-même». Socrate se pose comme «celui qui sait qu’il ne sait pas».

«Personnage original, bien connu des Athéniens, Socrate était une cible de choix pour les auteurs de comédies, qui se plaisaient à brocarder les gens en vue», raconte le philologue classique qui a dirigé le Musée royal de Mariemont dans le Hainaut. «Notre témoin principal est Aristophane. Il connaissait personnellement Socrate, qu’il côtoyait dans le cercle relativement restreint des intellectuels athéniens, auquel appartenaient les auteurs de tragédies et de comédies.»

«Des disciples de Socrate, les deux seuls témoins utilisables sont Platon et Xénophon. Bien qu’ils aient largement contribué à forger l’image traditionnelle de Socrate, les dialogues de Platon doivent être utilisés avec circonspection.»

Le philosophe refuse d’être rétribué pour ses leçons

Hoplite, soldat d’infanterie pesamment armé. Disposant d’un petit capital peut-être hérité de son père, Socrate pratique le prêt à intérêt. Couvert de cadeaux par ses riches amis, le philosophe refuse d’être rétribué pour ses leçons, de simples conversations improvisées selon lui. La pauvreté qu’il s’impose est une forme d’ascèse.

«Socrate croyait à la métempsychose», relève le chercheur. «Et espérait que, en menant une vie ascétique à la manière des pythagoriciens, il échapperait au cycle des réincarnations.»

«Dès la seconde moitié du IVe siècle avant notre ère, les écoles fondées par les disciples directs de Socrate évoluent et de nouvelles écoles apparaissent, qui se réclament du même maître. Socrate, le maître de Platon et personnage central de ses dialogues, sera magnifié comme le père fondateur de la philosophie et le sage par excellence. Ce qu’il est resté jusqu’à nos jours.» Près de 2.500 ans après sa mort.

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