De nombreuses statues de bronze, ainsi que plusieurs milliers de pièces de monnaie, ont été découverts à San Casciano dei Bagni. Cette petite commune italienne du sud de la Toscane, réputée pour ses sources d’eau chaude, fait l’objet de fouilles archéologiques depuis maintenant deux ans. C’est précisément au fond d’un des anciens bassins que ces artefacts, vieux de deux millénaires, ont été trouvés, profondément enfouis dans la boue. Le Pr Marco Cavalieri, chercheur en archéologie romaine et antiquités italiques à l’UCLouvain, revient sur la nature de ces trouvailles, et ce qu’elles nous disent sur les cultures de l’époque.
Des objets enterrés dans l’intention de les sauvegarder
L’état de conservation des pièces, de même que la quantité de matériel archéologique déterré depuis 2020, est impressionnante. Concernant les statues, la plupart ont été produites entre le 3e siècle avant Jésus-Christ et le 2e de notre ère, au tournant entre l’époque étrusque et romaine. Rien qu’au début du mois de novembre 2022, pas moins de 24 statues ont été découvertes.
« Au vu de l’endroit où ces pièces ont été retrouvées, on pense que le matériel a été volontairement caché afin qu’il soit préservé et conservé dans les meilleures conditions », informe le Pr Cavalieri, invité sur ce projet en tant qu’expert des sanctuaires extra-urbain à l’Antiquité.
Le site de fouilles était un lieu sacré, où ont été révélés les vestiges d’un sanctuaire. Les populations de l’époque s’y rendaient dans l’espoir que les dieux remédient à leurs problèmes de santé, ou à ceux de leurs proches. Les statues exhumées correspondent ainsi à des offrandes destinées aux divinités de la guérison.
Des bronzes représentant parfois l’organe malade
« A l’époque, les personnes plaçaient probablement l’offrande autour du sanctuaire. La statue représentait parfois la divinité implorée (Apollon, Hygie, Fortuna Primigenia). Mais, le plus souvent, la statue était le portrait de la personne qui avait besoin d’aide. Beaucoup de statues d’enfant et de bébé ont, notamment, été découvertes. » Plus étonnant, l’offrande pouvait aussi reproduire l’élément anatomique à guérir : « Des représentations en bronze d’oreille, de sein, d’utérus, de main, d’œil, de pied, etc. ont ainsi été trouvées. »
Après que les Romains se soient imposés dans la région et aient romanisé le sanctuaire, les populations ont continué à offrir, aux divinités, des statues, mais de plus petite taille. Surtout, les gens ont commencé à utiliser des pièces de monnaie comme geste de dévotion. « Ils payaient en quelque sorte la divinité pour obtenir la guérison. 5.000 pièces d’or, d’argent de bronze ont de cette façon été mis au jour. »
Encore aujourd’hui, les thermes de San Casciano dei Bagni attirent des visiteurs de toute l’Europe, puisque ses eaux auraient des propriétés curatives.
Les traces du passage entre deux cultures
Pour le chercheur, au-delà de la qualité et de la quantité d’objets collectés, ces derniers témoignent de la transition de la culture étrusque – qui s’est éteinte entre la fin du 1er siècle avant Jésus-Christ et le 1er siècle de notre ère – à la culture romaine : « On sait que le rapport entre Rome et les Etrusques a été belliqueux, voire sanglant. Mais ça n’a pas été le cas dans toute l’Italie. Certaines cités-états ne se sont pas opposées à la venue des Romains, et la romanisation s’est parfois faite de manière pacifique. Ce qui semble avoir été le cas San Casciano dei Bagni. »
« Les offrandes récupérées montrent, en effet, qu’il a eu une continuité dans les traditions, en passant des statues (qui n’ont d’ailleurs pas été détruites par les Romains) à la monnaie. C’est un bon exemple de transition pacifique. »
Ajoutons, enfin, que les boues dans lesquelles les objets ont été enfouis ont aussi préservé des traces de l’environnement de l’époque (pollens, morceaux de bois, pommes de pin…). Leur analyse fournira potentiellement de précieuses informations sur le paysage de la Toscane à cette période et, plus largement, sur le climat de la région.