Quoi de plus anodin en apparence que le nom des stations de métro ? À Bruxelles, ces noms reflètent d’abord un certain pragmatisme: celui des ingénieurs qui ont construit le réseau. Mais les noms de baptême de certaines stations racontent aussi quelques belles luttes d’influence idéologiques et politiques à qui sait le décrypter. C’est à ce travail que s’est livré le Dr Frédéric Dobruszkes, chercheur qualifié FNRS à l’Université libre de Bruxelles.
« Pour plusieurs stations, les choix n’ont pas manqué de susciter des réactions, des pressions, voire des polémiques », explique-t-il. Invité par le CEPeULB (le Conseil de l’Éducation Permanente de l’Université Libre de Bruxelles), le chercheur a volontiers replongé et actualisé ses travaux de toponymie critique en lien avec ce réseau ferré souterrain.
« Lorsqu’une station dessert un quartier préexistant, son nom ne coule-t-il pas de source ? » interrogeait-il d’entrée de jeu. « Baptiser une station de métro suppose, en effet, d’aider les voyageurs à se repérer dans la ville. La réalité apparaît nettement plus complexe, tant donner un nom à un lieu est un acte potentiellement politique et idéologique », estime le géographe de l’Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire de l’ULB (IGEAT).
69 stations, mais… 70 noms
À Londres, par exemple, une des gares a été baptisée Waterloo. À Paris, c’est Austerlitz qui est mise à l’honneur. « Ces noms reflètent des pages d’histoire glorieuse (et militaire) de ces nations », pointe le chercheur. Bruxelles en est dépourvue.
Pourquoi cette différence ? « D’abord, parce que les stations de métro de la capitale belge ont été créées dans un tissu urbain préexistant. Mais aussi parce que le réseau est relativement récent. Les débuts du métro bruxellois datent des années 1960 », précise-t-il.
Les recherches toponymiques de Frédéric Dobruszkes l’ont amené à réaliser de longues interviews avec les pères du métro bruxellois. Il a aussi eu, plus tardivement, accès aux archives de la Stib, la Société de transport public bruxelloise. Au final, les 70 noms des 69 stations de métro bruxellois (la station Simonis/ Élisabeth porte un double nom en fonction des lignes différentes qui s’y croisent et/ou y trouvent leur terminus) ont été passés en revue.
Des arrêts qui donnent une identité au quartier
« Certains noms ont été choisis suite à un impératif technique », rappelle-t-il. « Les systèmes d’affichage ne pouvaient à l’origine présenter qu’une série de quelques caractères. Il fallait donc faire court ». Les stations Parc, Madou, Botanique, Bourse illustrent cette contingence. En lien direct avec le nom du quartier où elles émergent, les noms des stations font référence à la toponymie locale déjà en place. C’est le souci pragmatique des ingénieurs.
« D’autres ont permis de donner une identité toponymique à un quartier qui n’en avait pas vraiment. C’est, par exemple, le cas de la station Pétillon », explique-t-il.
De nombreuses suggestions spontanées ont également été formulées par des associations (Maurice Carême), des familles qui voulaient honorer un ancêtre (Fontainas), des sociétés privées (Hergé). Toutes ont dû passer par une série d’avis des autorités pour finalement être avalisées… ou non, par le ministre de tutelle (fédéral dans un premier temps, puis bruxellois).
La monarchie tardivement honorée
Un exemple: la station Maurice Carême se verra finalement baptisée Eddy Merckx. « Un ami proche du Ministre des Transports de l’époque, et exceptionnellement, une personnalité encore en vie », pointe Frédéric Dobruszkes.
« La monarchie n’est honorée de la sorte que tardivement », précise-t-il. « En juin 1993, la station Luxembourg est rebaptisée Trône. En 1998, on baptise une station « Roi Baudoin », en hommage au souverain décédé plutôt qu’Amandiers, qui faisait référence au quartier. »
Une certaine illustration des clivages belgo-belges
Certains choix trahissent aussi un clivage social. Plutôt que de baptiser des stations en suivant la toponymie locale susceptible d’honorer certains métiers comme « Abattoirs » ou « Vismet » (Marché aux poissons), on a finalement préféré les appellations « Clémenceau » et « Sainte-Catherine ». Même si la toponymie de surface ne correspond pas tout à fait aux accès du métro.
Au final, le chercheur identifie 44 stations du réseau dont le nom est en accord avec la toponymie locale. Les autres ont contribué à donner une identité à des quartiers à la faible identité toponymique, comme c’est le cas de la station Delta.
À ce propos, c’est, sans doute, un autre clivage qui est ici en jeu, Delta fait écho à une autre station: Alma. Celle-ci est située au cœur du campus médical de l’Université catholique de Louvain à Woluwe-St-Lambert et peut induire une certaine vision philosophique. La station Delta, située à côté du campus de La Plaine de l’ULB, fait davantage penser au triangle maçonnique et aux origines de cette université.
Le nom des stations de métro vues par le Dr Dobruszkes raconte pas mal de (petites) histoires finalement… bien « belges ». Et encore: on ne vous parle pas de la station Kraainem/Crainhem et de sa saga linguistico-politique!