Devenir un neurone, juste une question de timing

19 août 2020
par Daily Science
Durée de lecture : 4 min

Les  mitochondries, ces petites usines énergétiques logées au sein de chaque cellule, régulent également un événement clé du développement du cerveau. En effet, elles interviennent dans la façon dont les cellules souches neuronales deviennent des cellules nerveuses. La découverte de cette fonction inattendue des mitochondries vient d’être faite par une équipe de chercheurs dirigée par Pierre Vanderhaeghen (ULB et VIB-KUL). Elle pourrait expliquer l’augmentation de la taille du cerveau au cours de l’évolution humaine, et comment les défauts de ces organelles conduisent à des maladies neuro-développementales.

La neurogenèse sous la loupe

Notre cerveau est constitué de milliards de neurones incroyablement divers. Ils apparaissent pour la première fois dans le cerveau en développement lorsque les cellules souches cessent de se renouveler et se différencient en un type particulier de neurone.

Ce processus, appelé neurogenèse, est précisément régulé pour donner naissance à l’énorme structure complexe qu’est notre cerveau. De petites différences dans la façon dont les cellules souches neurales génèrent les neurones seraient à l’origine de l’augmentation spectaculaire de la taille et de la complexité de notre cerveau.

Pour mieux comprendre ce processus complexe, Pr Pierre Vanderhaeghen et ses collègues ont examiné les mitochondries, de petites organelles qui fournissent de l’énergie à chaque cellule du corps, y compris au cerveau en développement.

Les mitochondries influent sur le développement du cerveau

« Les maladies causées par des défauts dans les mitochondries entraînent des problèmes de développement dans de nombreux organes, en particulier le cerveau », explique Pr Vanderhaeghen, spécialiste des cellules souches et de la neurobiologie du développement au sein de l’Institut de recherche interdisciplinaire en Biologie humaine et moléculaire.

« Avant, on pensait que cela était lié à la fonction cruciale des mitochondries qui consiste à fournir de l’énergie aux cellules, mais ce n’est qu’une partie de la réalité: des recherches récentes sur les cellules souches suggèrent que les mitochondries ont une influence directe sur le développement des organes. Nous avons testé si, et comment, cela pouvait être le cas dans le cerveau », ajoute-t-il.

Fission et fusion

Avec son équipe, il a étudié si le remodelage des mitochondries est couplé à la production de neurones.

« Les mitochondries sont des organismes très dynamiques, qui peuvent s’assembler (fusion) ou se séparer (fission), et nous savons que cette dynamique peut être associée à des changements de destin dans divers types de cellules souches », poursuit le spécialiste.

Ryohei Iwata, chercheur postdoctoral FNRS au laboratoire de Pierre Vanderhaeghen, a développé une nouvelle méthode pour observer les mitochondries de manière très détaillée au cours du temps, en prenant sur « le fait » la différenciation de la cellule souche neurale en neurone.

« Nous avons découvert que peu de temps après la division des cellules souches, les mitochondries des cellules filles destinées à s’auto-renouveler fusionnent, alors que celles des cellules filles qui deviennent des neurones présentent plutôt des niveaux élevés de fission », explique Dr Iwata.

Ce n’était pas une simple coïncidence : en effet, les chercheurs ont pu montrer qu’une fission accrue des mitochondries favorise la différenciation vers un destin neuronal; tandis que la fusion des mitochondries après la mitose redirige les cellules filles vers l’auto-renouvellement.

Fenêtre temporelle

La dynamique des mitochondries est donc importante pour devenir un neurone. Mais ce n’est pas tout.

« Nous avons découvert que l’influence de la dynamique mitochondriale sur le choix du destin des cellules est limitée à une fenêtre temporelle très spécifique, juste après la division cellulaire », explique Pierre Casimir, doctorant FWO dans le laboratoire du Pr Vanderhaeghen. « Il est intéressant de noter que la fenêtre temporelle restreinte est deux fois plus longue chez l’homme que chez la souris. »

« Des recherches précédentes ont montré que le choix du devenir des cellules s’effectuait avant la division cellulaire . Nos données révèlent, cependant, que le sort des cellules peut être influencé pendant une période beaucoup plus longue, même après la division des cellules souches neurales », ajoute Pr Vanderhaeghen.

Reprogrammation cellulaire

Cela pourrait avoir des implications intéressantes dans le domaine émergeant de la reprogrammation cellulaire. Les scientifiques impliqués dans ce secteur tentent de convertir des cellules non neuronales directement en cellules neuronales, à des fins thérapeutiques par exemple.

« Comme cette période de plasticité est beaucoup plus longue dans les cellules humaines que dans les cellules de souris, il est tentant de spéculer qu’elle contribue à l’augmentation de la capacité d’auto-renouvellement des cellules progénitrices humaines, et donc aux capacités cérébrales et cognitives uniques de notre espèce », conclut Pr Vanderhaeghen.

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