Déclin des bourdons en Europe, des chercheurs tirent (encore) la sonnette d’alarme

19 décembre 2023
par Joffrey Onckelinx
Temps de lecture : 4 minutes

Le constat est sans appel : les populations de bourdons déclinent dangereusement depuis un siècle et cet effondrement devrait encore s’accélérer dans le futur. Pour la première fois, un groupe de scientifiques pluriuniversitaires belges (UMons, ULB, VUB, UCLouvain et KULeuven), a quantifié à l’échelle du continent européen le déclin passé, présent et futur des populations de bourdons. L’étude s’est basée sur l’analyse de pas moins de 400.000 spécimens recensés du début du 20e siècle à nos jours.

Des habitats qui se contractent de plus en plus…

En analysant 46 des quelque 70 espèces de bourdon présentes en Europe, les chercheurs se sont rendus compte que près de 75 % des espèces considérées comme non-menacées pourraient perdre, au minimum, 30 % de leurs habitats d’ici 2060-2080.

« Ces chiffres déjà alarmants cachent quelque chose de beaucoup plus grave: certaines espèces vont perdre jusqu’à 85 % voire 90 % d’habitats propices dans le futur », précise Dr Guillaume Ghisbain, chercheur au sein du département de zoologie de l’université de Mons et co-auteur de l’étude.

Pour survivre et se reproduire, les bourdons ont besoin de zones riches en fleurs sauvages. Or, celles-ci sont de plus en plus rares.

« Autrefois, les trèfles (un des aliments de prédilection des bourdons, NDLA) étaient extrêmement abondants en Europe et dans des pays comme la Belgique. Pourquoi ? Car pour amender leur champ en azote, les agriculteurs d’alors plantaient du trèfle (ou d’autres légumineuses), plante qui enrichit naturellement le sol en azote via ses racines. Mais cette pratique a été abandonnée en faveur de l’usage massif d’engrais synthétiques, industriels  », explique Guillaume Ghisbain.

Le fait d’utiliser outrancièrement des produits chimiques pour alimenter le sol, surcharge celui-ci en azote, nuisant à la croissance de différentes plantes, dont le trèfle. Les bourdons se retrouvent donc face à un sol dont la chimie a changé et qui ne répond plus à leurs besoins nécessaires en plantes.

Bourdon – image libre de droit

… et qui se fragmentent

Autre problème, la fragmentation des espaces naturels due, entre autres, à leur utilisation pour l’agriculture.

« Au lieu d’avoir des habitats naturels qui sont bien interconnectés entre eux et dans lesquels les populations animales et végétales peuvent « se balader », ils sont fragmentés par d’énormes coupures à l’échelle du paysage. » Notamment les routes, mais aussi des immenses champs de monoculture.

« Dès lors, des petits insectes pollinisateurs, comme les bourdons, doivent voler parfois des kilomètres pour trouver des plantes leur permettant de se nourrir et de réaliser leur cycle de vie », soulève le chercheur.

Un problème qui fait également écho à un manque de réflexion autour de la question des zones naturelles protégées. En effet, si celles-ci ne sont pas pensées pour être interconnectées, le manque de mobilité des bourdons aura tendance à mener à un déclin progressif de leur diversité génétique. Et donc à la régression de leurs populations.

Enfin, si la présente étude ne s’est pas penchée sur la question de l’utilisation des pesticides, fongicides et insecticides, il est maintenant démontré que ceux-ci viennent augmenter encore d’un cran la pression sur la diversité végétale des espaces naturels et, de facto, sur les ressources des bourdons.

Le changement climatique aussi en cause

Sans surprise, le changement climatique anthropique est, lui aussi, responsable de la pression exercée sur les bourdons. Et ce, pour trois grandes raisons.

Premièrement, l’augmentation générale des températures modifie les aires de distribution des bourdons. Ceux-ci étant adaptés aux climats tempérés ou froids, communs à l’Europe.

Les événements climatiques extrêmes, plus fréquents à cause du changement climatique, entraînent toute une série de problèmes, notamment avec les canicules. « Elles ont un effet direct sur les bourdons. Soit ces derniers meurent directement du choc thermique, soit il y a un impact sur leur cognition, soit il y a un impact sur leur fertilité. »

« S’ils meurent directement ils ne peuvent plus se reproduire, donc la population s’effondre. Concernant les problèmes de capacités cognitives, ils peuvent avoir des soucis pour revenir avec leur nourriture au niveau du nid et peut-être même rencontrer des problèmes pour s’accoupler. Les problèmes de fertilité, quant à eux, impactent directement leur reproduction, avec notamment une production de sperme de moins bonne qualité, et avec pour conséquence directe un appauvrissement de la génération suivante », soutient Dr Guillaume Ghisbain.

Enfin, les épisodes de sécheresse, eux aussi malheureusement plus fréquents et plus longs qu’auparavant, viennent accentuer la pression sur les ressources florales disponibles. Et donc sur l’alimentation des bourdons.

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