Le Machu Picchu souffre cruellement du tourisme de masse

Le patrimoine mondial est en danger

22 avril 2022
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes
“Patrimoine mondial en péril”, par Peter Eeckhout. Editions Passés/Composés. VP 35 euros

« Chaque tombe saccagée, chaque mur démoli, chaque sol éventré qui portait en lui des traces du passé, c’est une part de la mémoire de l’humanité qui disparaît à jamais », énonce Peter Eeckhout. Dans son ouvrage « Patrimoine mondial en péril », paru aux éditions Passés/Composés, le docteur en histoire de l’art et archéologie de l’Université Libre de Bruxelles met en exergue les plaies principale dont souffrent les vestiges de par le monde : les destructions volontaires, le pillage, la pression de l’urbanisation, le tourisme de masse, les restaurations abusives, la négligence, la pollution et les conséquences des changements climatiques. De Palmyre à Gizeh, le constat est sombre. Mais non dénué de lueurs d’espoir.

Dans ce livre, richement illustré, le Pr Eeckhout montre des talents de conteurs. Il emmène ses lecteurs dans les pas des archéologues qui ont mis au jour quelques-unes des merveilles patrimoniales que compte la planète. D’Alep à Carthage, en passant à Angkor, les joyaux sont expliqués aux néophytes, leur importance historique et sociétale est mise en exergue, avant de souligner les différentes menaces qui pèsent sur leurs épaules de pierre.

Pillages et urbanisation

Le site péruvien de Pachacamac, couvrant près de 6 kilomètres carrés à quelques encablures de Lima, est composé de 3 cercles concentriques. Le plus central contient les temples principaux. La deuxième enceinte est celle des résidences de l’élite, tandis que la troisième, la plus vaste des 3, apparaît aujourd’hui comme un désert sous la surface duquel se logent les multiples constructions basses des faubourgs de Pachacamac.

« Depuis l’arrivée des conquistadors au 16e siècle, les pillages des tombes et des temples n’ont jamais cessé. On a creusé illégalement pour trouver des bijoux et des parures précieuses, mais aussi des vases, des étoffes, et même des momies. Les musées péruviens mais aussi européens ou étasuniens en emplissent leurs réserves et vitrines. Les pillages se sont aggravés au 20e siècle, lorsque les antiquités ont acquis une valeur croissante sur le marché de l’art », explique le spécialiste de l’Amérique précolombienne, qui a notamment dirigé des fouilles dans ce grand site de Pachacamac.

Autre fléau qui menace de longue date le patrimoine ancien : l’urbanisation. La troisième enceinte est aujourd’hui envahie par les habitations modernes du village Julio C.Tello. Suite à la construction de la route panaméricaine , laquelle parcourt toute l’Amérique sur son flanc ouest, le site archéologique s’est même vu coupé en deux : la troisième enceinte d’un côté de la route, le reste de l’autre. Et le pire est sans doute la construction récente de l’immense MUNA, le musée national d’archéologie, situé en plein dans la troisième enceinte. « Près de 70.000 m² de patrimoine archéologique parmi les plus précieux ont été irrémédiablement anéantis par ceux-là mêmes qui étaient censés assurer leur protection », déplore le Pr Eeckhout.

Le tourisme de masse abîme le Machu Picchu

Restons au Pérou. Le site inca de Machu Picchu a été élu parmi les « nouvelles merveilles du monde » lors d’une consultation réalisée sur Internet il y a de ça quelques années. Il fut révélé au monde en 1911, après que l’historien et explorateur américain Hiram Bingham l’a découvert totalement intact, isolé à 2500 mètres d’altitude entre deux pics surplombant le fleuve Urubamba.

Mais alors qu’il avait survécu aux siècles sans être abîmé, ce palais de campagne, où, entre le 15e et le 17e siècle, l’empereur (appelé Inca) passait quelques semaines par an, est aujourd’hui en proie au tourisme de masse et aux glissements de terrain causés par le changement climatique.

« Depuis que la situation politique du Pérou s’est stabilisée vers le milieu des années 90, le tourisme a connu une croissance ininterrompue. En 2018, près de 1,5 millions de visiteurs étrangers ont foulé le site. Lorsque l’on songe que les 172 constructions qui le composent s’étendent approximativement sur à peine 530 mètres de long et 200 mètres de large, on se rend compte que la saturation est complète. Il reste à peine de la place pour les autochtones déguisés en Sapa Inca et les lamas affublés jusqu’à l’écœurement de clochettes et de rubans multicolores, pour les selfies», commente le Pr Eeckhout.

Pour limiter le piétinement et l’usure de la surface des pierres de l’ancienne cité inca, il fut décidé en 2019 que la durée d’une visite ne pourrait désormais excéder 3 heures. Cette mesure s’ajoute à celle imposée par l’UNESCO de limiter le nombre de visiteurs à 6.000 par jour : 3.000 le matin et autant l’après-midi. De bonnes mesures ? Pour le Pr Eeckhout, le problème principal demeure : l’exploitation maximale de ce site d’exception.

D’autres idées sont sur la table, comme limiter plus drastiquement encore la fréquentation du site, avec le risque de privilégier les nantis, ou favoriser les visites virtuelles. « C’est aux autorités locales qu’il revient de trouver le difficile équilibre entre intérêt économique et préservation du patrimoine », précise le Pr Eeckhout.

Lueurs d’espoir

Dans ce tableau sombre dressé par l’auteur aux quatre coins de la planète, émergent toutefois quelques lueurs d’espoir pour la sauvegarde des vestiges et des sites archéologiques qui les contiennent.

« En 2020, à Venise, le système MOSE de digues escamotables a été testé avec succès. Et a permis, pour la première fois, de préserver la ville de la marée haute devenue destructrice avec les années. »

Pompée, cité longtemps négligée, connaît un nouvel âge d’or. « Et ce, grâce à l’appui des fonds européens et de la pugnacité du directeur du site, l’archéologue Massimo Osanna, lequel a su insuffler un nouveau dynamisme aux recherches de terrain comme à la sauvegarde des ruines. »

« Les monuments détruits ou abîmés par les guerres et l’instabilité politique au Moyen-Orient, revivent numériquement grâce aux modélisations virtuelles. Lesquelles fournissent, par ailleurs, des bases de réflexion concrète pour envisager des restaurations ou planifier des investigations », conclut Peter Eeckhout.

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