Secteur des fouilles du site chypriote de Pyla-Kokkinokremos menées par les archéologues de l'UGent © Nicolas Kress

Un site chypriote vieux de 3000 ans sur les traces des peuples de la mer

22 juillet 2022
par Camille Stassart
Temps de lecture : 6 minutes

Série « Lever un coin du voile sur l’histoire humaine » (5/5)

Occupé pendant seulement quelques décennies avant d’être brusquement déserté à la fin de l’Age du Bronze, le site chypriote de Pyla-Kokkinokremos renferme encore de nombreux secrets. Il est étudié depuis 2014 par Joachim Bretschneider (UGent), Jan Driessen (UCLouvain) et Athanasia Kanta (Institut grec d’archéologie méditerranéenne). Leurs travaux de terrain ont permis d’exhumer des artefacts de grande valeur, fabriqués en bronze, en argent et en or.

Ces objets précieux semblent avoir été cachés par les habitants avant leur départ, au début du 12e siècle avant notre ère. Pour les chercheurs, la population pourrait appartenir à la mystérieuse alliance des « peuples de la mer » qui a attaqué l’Egypte à la même époque.

Vase en albâtre d’Egypte contenant des objets précieux © Joachim Bretschneider / C-PEP

Un site contemporain à l’effondrement culturel de l’Age du Bronze

Le site de Pyla-Kokkinokremos est découvert au sud-est de Chypre dans les années 1950 par l’archéologue Porphyrios Dikaios. Il y localise les vestiges de plusieurs habitations, ainsi qu’une céramique, qui permet de dater l’occupation du site de 1230 à 1180 ans avant notre ère. Or, durant cette période, la Méditerranée orientale est plongée dans le chaos. La quasi-totalité des grandes civilisations de l’époque s’effondre pour des raisons encore inconnues, bien que les théories soient nombreuses (tremblements de terre, sécheresse, guerres civiles, crise économique…).

« L’ensemble des palais érigés par la civilisation mycénienne sont incendiés, ce qui conduit au déclin du monde grec. C’est aussi à cette époque que la ville de Troie est détruite, et que l’empire Hittite s’effondre », énumère le Pr Bretschneider, directeur du projet C-PEP (Cyprus Pyla Excavation Project Louvain/Gent). « Au Sud, l’Egypte est attaquée par deux fois par des envahisseurs, désignés par les Egyptiens comme les “peuples de la mer”, une alliance de plusieurs tribus étrangères. »

Ces derniers échouent néanmoins à envahir la région et sont repoussés par Ramsès III. Sur les bas-reliefs de son temple mortuaire, des scènes de bataille avec des étrangers sont exposées, et une inscription mentionne ces peuples.

Ramsès III face aux peuples de la mer, d’après un bas-relief en Egypte – libre de droit

Qui sont-ils et d’où viennent-ils ? Pour Jan Driessen, professeur d’archéologie méditerranéenne à l’UCLouvain et co-directeur des fouilles, le site de Pyla-Kokkinokremos, contemporain de ces événements, serait en mesure d’apporter certaines réponses. « Parmi les tribus des peuples de la mer, les Peleset (Poulasti dans la version égyptienne d’origine) restent les plus connus. Et, selon moi, le terme Poulasti serait la traduction du grec mycénien Pula-Wasti signifiant…la ville de Pyla ! »

Céramique enterrée sur le site de Pyla © Joachim Bretschneider / C-PEP

Des trésors cachés pendant plus de 3000 ans

Depuis près de huit ans, l’équipe du projet C-PELP fouille le site de Pyla en vue de déterminer qui étaient les habitants qui occupaient ce site, les raisons de la fondation de la ville et les circonstances de sa désertion.

Des campagnes précédemment menées par le chercheur chypriote Vassos Karageorghis et la Dre Kanta avaient déjà mis au jour plusieurs maisons mitoyennes, toutes agencées de la même manière. « Cette société apparaît ainsi comme très égalitaire, ou très homogène », note le Pr Driessen.

Au cours de ce nouveau projet, les archéologues ont découvert au sein de ces habitations de véritables trésors, comme des vases décorés ou des bijoux précieux. « Ces biens étaient dissimulés dans des caches à l’intérieur des maisons. Le site compte aussi plusieurs fosses, a priori des silos de stockage, où l’on a également trouvé des objets de valeur, comme un œuf en plâtre qui abritait en son cœur une plaque d’or », informe le Pr Bretschneide.

Céramique déterrée à Pyla © Joachim Bretschneider / C-PEP

Un peuple davantage pilleur que commerçant

Si certains de ces biens sont de productions locales, les analyses ont montré qu’un grand nombre provient d’Egypte, d’Anatolie (Turquie actuelle), de Grèce continentale, de Crète, du Levant, ou encore de Sardaigne. Pour le Pr Driessen, « il n’est pas exclu qu’ils s’agissent de butins de guerre. L’hypothèse selon laquelle ces objets proviendraient d’échanges commerciaux est, en tout cas, contestée par le fait que nous les avons trouvés partout sur le site, et non dans un ou deux commerces spécifiques. »

Sous toute vraisemblance, la population aurait donc dissimulé ses richesses avant de quitter les lieux, en espérant y revenir plus tard. « Soit, ils fuyaient un ennemi, soit ils sont partis temporairement vers l’Egypte, avec dans l’idée de rentrer récupérer leurs biens après avoir conquis la région. »

La possibilité que ces habitants fassent partie de l’alliance qui a pris d’assaut l’Egypte est soutenue par la découverte, en 2021, d’une tête en bronze coiffée d’un casque à plume. « Ce casque ressemble, en effet, beaucoup à ceux portés par les guerriers représentés sur les bas-reliefs du temple funéraire de Ramsès III. »
Les prochaines fouilles, prévues en octobre 2022, poursuivront la recherche d’autres vestiges et artefacts.

L’étude du site de Pyla-Kokkinokremos pourrait, à terme, fournir certaines explications sur les années de crise de la fin de l’Age du Bronze dans la région.

Tête en bronze découverte en 2021 © Joachim Bretschneider / C-PEP
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