« L’espace, c’est un sujet foisonnant où convergent la recherche scientifique, le désir de conquête, l’émerveillement. Ce qui nous tient à cœur, au Pavillon, c’est de décloisonner les sciences, les arts et la technologie. Et de permettre à nos visiteurs de développer leur esprit critique », explique Chalotte Benedetti, directrice du Pavillon (Namur), lors de l’ouverture de l’exposition Stellar Scape.
L’espace, c’est un sujet exploratoire, imaginaire, scientifique, mais aussi environnemental et politique. Une vingtaine d’artistes et de chercheurs exposent leur point de vue sensible sur le New Space, le renouveau des aventures spatiales. Pour faciliter la compréhension et les échanges, des médiateurs scientifiques et artistiques seront présents durant les 7 mois de l’évènement.
L’art de faire réfléchir
Derrière une lourde teinture noire, une sculpture tout en rondeur nous amène à réfléchir sur la soupe de débris spatiaux qui tourne autour de la Terre.
La structure est soutenue par une sphère armillaire en acier. Un joli clin d’œil, car cet instrument était employé jadis pour réaliser les premiers modèles géocentriques. C’est-à-dire de la voûte céleste avec la Terre au milieu. « La sculpture reprend ce principe d’outil de modélisation, mais cette fois, pour visualiser la voûte satellitaire », explique Alessia Sanna.
Le centre de l’installation est une boule formée de plus de 20.000 petits cubes moulés en résine. « Ils représentent tous les débris, les satellites inactifs, les corps de fusée. » En périphérie, dans une sphère plus grande et entourant la précédente, se tiennent d’autres cubes, par milliers également : les satellites actifs. Ils ont été tissés à la main, un travail de fourmi qui a pris pas moins de 650 heures de travail… « Cette double sphère crée une sorte de visualisation statistique entre les engins en orbite basse qui fonctionnent et ceux qui sont hors de service. La répartition des volumes permet de se rendre compte de ce contraste. »
La sculpture est esthétique à souhait. « Dans mon travail, il y a toujours quelque chose de l’ordre de la séduction visuelle. Mais celle-ci est trompeuse, car sous des formes agréables, le sujet abordé, la pollution de l’orbite terrestre, est crucial et d’actualité », précise celle qui est à la fois artiste plasticienne et doctorante en arts numériques.
Les 34.679 cubes (soit le nombre de satellites actifs et de débris en 2023) sont recouverts d’une surface holographique. Ils réfléchissent sur le plafond la lumière diffusée au pied de la sculpture. Cette bande visuelle, créée par Alexandre Weisser, évolue durant 12 minutes avant de revenir à son point de départ. « Celui-ci consiste en un seul point lumineux : c’est Spoutnik, le premier satellite à avoir été lancé. C’était en 1957. Depuis, d’autres l’ont rejoint. Lentement au début, cela est mis en évidence par le mapping, puis l’occupation de l’orbite terrestre s’accélère, et les débris apparaissent au fur et à mesure jusqu’à l’arrivée de Starlink, l’acteur principal aujourd’hui dans l’occupation de l’orbite basse terrestre. » En effet, avec plus de 3600 satellites placés en orbite terrestre basse (depuis 2018), la société américaine y représente plus de la moitié des satellites actifs.
« Une deuxième accélération du mapping génère un basculement de la lumière qui passe du blanc au bleu, signifiant qu’on entre dans la phase d’extrapolation. On imagine un futur jusqu’à 2050 où Starlink, fournisseur d’accès à Internet, aura réussi à déployer sa cible de 42.000 satellites, générant des centaines et des centaines de débris », explique Alessia Sanna. « Ceux-ci généreront eux-mêmes des débris de plus petite taille selon une réaction en chaîne, dénommée Syndrome de Kessler ».
« Ce qui est à craindre, c’est qu’à partir du franchissement d’un certain seuil, les débris vont représenter un danger rendant impossible l’exploration spatiale, l’envoi de nouveaux satellites et nuire à l’observation spatiale. » De quoi handicaper les pratiques scientifiques et poser problème aux télécommunications. « A force de surexploitation, là-haut aussi, l’humain est en train de saturer l’environnement et de le rendre hostile. »
Les prémisses de cette œuvre intitulée Leave Space ont été créées l’an dernier, lors de la résidence Art & Sciences organisée par l’UNamur et le KIKK, association promouvant les cultures numériques et créatives aux croisements entre art, science, technologie, et société.
Derrière le geste, la matière
Une précédente édition de cette résidence Art & Sciences avait accueilli Lucien Bitaux. Cet artiste avait alors travaillé avec André Füzfa, professeur d’astrophysique et pilote de l’Observatoire astronomique de l’UNamur. C’est à ce moment qu’est né l’idée du projet Nadir, Picture Element Explorer, exposé au sous-sol du Pavillon dans le cadre de Stellar Scape.
« Selon une hypothèse avancée par la NASA en 2019, le silicium proviendrait à 100% des supernovae, donc de l’explosion d’étoiles. Les capteurs d’appareils photo numériques sont donc fabriqués à partir de la matière des étoiles primitives. Dès lors, en prenant une photo numérique d’une supernova, on réalise une forme d’autoportrait ! Cette boucle, j’ai essayé de la recréer dans une machine autonome », explique l’artiste.
Au centre de l’espace, au sous-sol du Pavillon, des petits morceaux de silicium sont déposés sur une plaque ronde et transparente. Sous elle, des capteurs numériques grands de 8 mm dirigés vers le haut. Au mur se tiennent une dizaine d’écrans de 110 cm de large. Chacun d’eux révèle ce que voit chaque capteur : des cristaux de la poussière de silicium.
L’œuvre se veut critique. « Prendre une photo, geste qui paraît anodin à l’ère des smartphones, c’est pourtant exploiter des minerais et extraire ce silicium de la Terre avec tout ce que cela implique comme dérives environnementales et humaines. L’image numérique est loin d’être un geste neutre.»
Les entrepreneurs du spatial mis en lumière
Outre des installations artistiques interpellantes, l’exposition Stellar Scape a également réservé un espace aux entreprises wallonnes et européennes actives dans le domaine spatial : le Stellar Lab.
Quelques fleurons wallons sont présents en révélant une maquette de leur produit phare. Aerospace Lab est une entreprise basée à Mont-Saint-Guibert, en Belgique, d’où sortiront d’ici 2025, pas moins de 500 petits satellites pour l’orbite terrestre basse. Elle exhibe un prototype de satellite artificiel de petite taille muni de deux panneaux solaires. Quant aux Belges de Space Application Service, ils exposent un prototype de rover pour explorer le pôle Sud de la Lune, futur lieu d’alunissage du programme Artemis.
« Notre 21e siècle a ouvert l’ère du New Space et relancé les conquêtes de l’espace. Dominées par les géants américains du secteur privé – Elon Musk (SpaceX), Jeff Bezos (Blue Origin) ou Richard Branson (Virgin Galactic)-, elles dessinent un Far West interstellaire en pleine expansion qui voit les commerçants milliardaires se substituer aux explorateurs, les intérêts personnels au bien commun public tandis que la recherche aérospatiale poursuit ses prometteuses avancées », énonce le livre du visiteur.