Élections américaines : le scénario d’une contestation se profile

26 octobre 2020
par Camille Stassart
Temps de lecture : 6 minutes

La crise sanitaire a tendance à l’éclipser, mais la course à la présidence se poursuit outre-Atlantique. Le 3 novembre prochain, les Américains voteront pour leur candidat à la Maison Blanche. Au lendemain du scrutin, la tradition veut que le candidat perdant reconnaisse sa défaite. S’opère ensuite une période de transition jusqu’au jour de l’investiture du nouveau Président, ou du Président réélu, en janvier. Mais cette année risque de faire exception. Donald Trump n’a, en effet, toujours pas admis qu’il accepterait sa défaite, le cas échéant. Selon Serge Jaumain, professeur à l’ULB et co-directeur d’AmericaS, le Centre interdisciplinaire d’études des Amériques, la passation de pouvoir pourrait bien être mouvementée.

Serge Jaumain, professeur à l’ULB et co-directeur d’AmericaS, le Centre interdisciplinaire d’études des Amériques © ULB

Daily Science (DS) : Un candidat à la présidence peut-il refuser sa défaite ?

Serge Jaumain (SJ) :

« Le système démocratique américain est en principe prévu pour éviter d’en arriver à cette situation. Néanmoins, comme dans toute démocratie, un candidat peut contester les résultats électoraux en mettant en doute leur validité. Dans ce cas, la question peut remonter jusqu’à la Cour Suprême des États-Unis, la plus haute instance juridique du pays.»

DS : Est-ce déjà arrivé par le passé ?

SJ : « Oui. Le dernier exemple bien connu remonte aux élections de 2000 qui opposaient Al Gore et George W. Bush. Le premier, qui avait remporté le vote populaire au niveau national, contesta les résultats dans l’État de Floride où l’écart, extrêmement serré, permettait à son rival d’emporter les grands électeurs de l’État, et donc la victoire finale. Un premier recomptage confirma la victoire de Georges W. Bush, mais avec une avance beaucoup plus faible. L’affaire aboutit devant la Cour Suprême des Etats-Unis qui refusa le nouveau dépouillement demandé par les démocrates. Cette décision confirma la victoire de George W. Bush. Malgré ses doutes et ses critiques, Al Gore n’eut d’autre choix que de reconnaître sa défaite.»

« Actuellement, la situation est assez exceptionnelle puisque, avant même le vote, non seulement Donald Trump critique déjà sa légitimité, mais demande à ses partisans les plus extrémistes de se « tenir prêts » dans le cas où il ne gagnerait pas. C’est du jamais-vu et c’est très inquiétant !»

DS : Il devient donc de plus en plus plausible que Donald Trump réfuterait les résultats électoraux…

SJ : « On ne peut bien sûr rien prédire, surtout avec une personnalité comme Trump. Toutefois, au vu des sondages qui lui sont de plus en plus défavorables, il ne serait pas surprenant qu’une partie de son entourage commence à envisager sérieusement le scénario d’une défaite, et réfléchisse à la meilleure manière de la contester, en alléguant, par exemple, des tricheries dans les votes par correspondance, réputés plus favorables aux démocrates.»

DS : Cela fait des mois que Donald Trump s’oppose au système du vote par courrier. Ce dernier, est-il une nouveauté dans les élections ?

SJ : « Non, pas du tout. S’il est vrai que ce système a beaucoup de succès cette année, à la suite de la pandémie, de nombreux Américains ont pris l’habitude de voter de cette manière. Ainsi, aux dernières élections présidentielles, en 2016, ils furent près de 33 millions à voter par courrier.»

« Si ce système est utilisé sur la plus grande partie du territoire, la manière dont il est mis en œuvre varie fortement d’un État à l’autre. Dans certains, tous les citoyens reçoivent un document leur permettant de voter par correspondance s’ils le souhaitent. Dans d’autres, ils doivent en faire la demande expresse. Dans d’autres encore, la demande doit être justifiée (maladie, travail, etc.).Par ailleurs, dans divers États, on ne comptabilise que les bulletins reçus jusqu’au jour de l’élection ; dans d’autres, on tient compte du cachet de la poste. Et même les règles en matière de dépouillement diffèrent fortement : dans certains États, il est interdit de dépouiller ces bulletins avant la fin du scrutin. Alors que dans d’autres, le dépouillement peut commencer plus tôt.»

DS :  Le vote par correspondance a-t-il déjà permis de tricher ?

SJ : « Formellement oui, mais il faut être très clair : aujourd’hui, aux Etats-Unis, la tricherie est un phénomène ultra-marginal. De nombreuses études de ces vingt dernières années démontrent que les cas de fraudes avérées dans le cadre du vote par correspondance sont anecdotiques. Les contrôles sont d’ailleurs tellement tatillons que de nombreux bulletins envoyés par courrier sont rejetés, car, par exemple, la signature apposée sur l’enveloppe ne concorde pas totalement avec celle enregistrée dans les dossiers de l’administration américaine.»

DS:  Malgré tout, Donald Trump pourrait contester ces bulletins de vote ?

SJ : « En 2016, lors d’un meeting électoral, il avait annoncé avec solennité qu’il ne contesterait pas les résultats de l’élection… s’il la gagnait ! Quatre ans plus tard, rien n’a changé. Il n’est pas exclu qu’il parie sur une victoire dans les urnes traditionnelles, et conteste ensuite les résultats des votes par correspondance. Si la polémique remonte à nouveau jusqu’à la Cour Suprême, il espère peut-être que la majorité des juges se rappelleront qu’ils doivent leur mandat à un président républicain.» (NDLR : Parmi les neuf juges constituant la Cour Suprême des États-Unis, six – pour autant de Amy Coney Barrett soit confirmée- auront été nommés par des présidents républicains, dont trois par Donald Trump)

DS : Donald Trump, ou Joe Biden, pourrait-il s’opposer à la décision de la Cour Suprême ?

SJ : « Il peut certes la critiquer, mais remettre en cause son jugement reviendrait à ébranler toute la structure institutionnelle du pays. Il ne faut pas perdre de vue que les citoyens américains sont très attachés à leurs institutions. Même si, par certains égards, celles-ci paraissent parfois appartenir à une autre époque. Pensons, par exemple, à la nomination à vie des juges de la Cour Suprême… Néanmoins, une décision de la Cour Suprême, même très partisane, serait difficile à contester.»

« Selon moi, le principal risque de ces élections réside dans l’opposition entre deux Amériques, que le Président Trump a contribué à renforcer tout au long de son mandat. D’un côté, nous avons les anti-Trump, plus opposés que jamais au Président. De l’autre, sa base électorale, qui lui a été d’une fidélité absolue pendant les 4 ans de son mandat, ce qui est très rare. Quel que soit le vainqueur, le pays pourrait donc connaître de vives tensions au lendemain des élections.»

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